Joey est un demi-sang, dont un modeste fermier du Devon au Royaume-Uni fait l'acquisition. Pas véritable cheval de labour, au grand dam de son épouse, mais magnifique étalon alezan qui n'a pas laissé indifférent le mari un peu fantasque.


L'attachement de leur fils Albert à ce cheval remonte à plus loin ; il l'a connu poulain dans un pâturage voisin. L'adolescent est enchanté par l'acquisition faite par son père. Cheval de guerre raconte l'amitié naissante et ses développements entre un jeune homme et un cheval qui présente un tempérament et quelque chose qui est du domaine de l'intelligence. Un cheval hors du commun sur un arrière-plan de conditions sociales et économiques difficiles du fait du fermage alors encore largement répandu à la veille de la Première Guerre mondiale.


Bella était une jument à la robe granitée et elle était le premier cheval de labour de mon grand-père Nicolas. Au printemps de 1941, une commission militaire allemande se rendit de ferme en ferme pour juger de la vigueur des chevaux et sélectionner ceux qui seraient réquisitionnés. Bella fut retenue et mon grand-père fermement prié de présenter son cheval avec son harnachement de base à la gare voisine où se formait un convoi de wagons à bestiaux à destination d'un lieu de regroupement avant le départ sur le front de l'Est.


Lors de l'entrée du Royaume-Uni dans le conflit, les chevaux des fermes sont réquisitionnés pour servir de bêtes de somme sur le front. Joey n'échappe pas à l'oeil exercé d'un capitaine, non pas comme cheval de trait, mais comme monture possible pour l'officier de cavalerie qu'il est. Joey et Albert sont séparés. Cependant, l'oeil du jeune officier n'est pas seulement exercé pour choisir les chevaux, mais il sait également reconnaître l'amitié profonde entre un animal et un homme et le vrai chagrin que peut causer une séparation. Il promet à Albert de prendre le plus grand soin de Joey.


C'est dans une prairie du camp militaire de Bitche, en Moselle, à un jet de pierre de la frontière avec l'Allemagne, que les Allemands regroupent les centaines de chevaux de trait qu'ils ont réquisitionnés en Alsace et en Moselle annexées avant de lancer l'opération Barbarossa. Quand la Wehrmacht entre en Union soviétique en 1941, elle s'appuie sur plus de 500 000 chevaux et probablement des centaines de milliers supplémentaires au fur et à mesure de l'avancée des opérations. Non pas pour mener des charges de cavalerie à l'ancienne, mais pour tracter tout ce qu'il faut déplacer quand le carburant doit être économisé, puis quand le froid, la neige et la boue bloquent les véhicules autotractés.


Joey sera un cheval de cavalerie en Picardie et il nouera une relation amicale avec un autre cheval à la robe noire de jais. Ensemble ils participeront à des charges, sabre au clair, qui pour impressionnantes qu'elles soient sont sans lendemain face aux mitrailleuses de l'armée allemande. Les deux cavaliers mourront lors d'une de ces charges, Joey et son ami tomberont aux mains de l'armée allemande. La bienveillance d'un officier allemand leur évitera de faire partie d'un attelage traînant des canons et d'échapper ainsi à une mort rapide. Ils ne seront attelés qu'à des véhicules sanitaires hippomobiles beaucoup plus légers.


Le cheval, ami fidèle, offre sa force et sa docilité affectueuse aux hommes qui manquent de tout, loin de chez eux. Le cheval et la chaleur de son grand corps dans le blizzard. Le cheval, qui quand il est épuisé par le travail et le froid polaire, n'a plus que sa chair à offrir aux soldats affamés. Le cheval, meilleur ami de l'homme, n'a pas volé sa réputation.


Leur destin veut qu'ils retrouvent la liberté et qu'ils se lient d'amitié avec une petite fille. Elle devient cavalière et noue une complicité espiègle avec Joey sous le tendre regard de son grand-père. Cette belle amitié prend fin avec l'irruption de l'armée allemande qui réquisitionne à nouveau les chevaux pour les atteler à des canons. A la guerre il n'y a pas que les hommes qui meurent, les chevaux s'épuisent à la tâche. Joey perd son compagnon qui meurt d'épuisement et lui-même ne doit la vie qu'à la bienveillance d'un soldat allemand qui se souvient peut-être que chez lui, à la ferme, un autre cheval attend son retour. Il le supplie de partir, de s'échapper, de prendre sa liberté.


En Alsace et en Moselle, ce ne sont pas seulement les hommes et les femmes qui ont été incorporés de force dans la Wehrmacht. Les Malgré-nous ont été vite rejoints par des « malgré-eux » à crinière et sabots. Aucun de ces derniers n'est revenu vivant de son incorporation forcée.


Désormais Joey est libre et entend le rester. Mais de quelle liberté s'agit-il ? Entre les tranchées anglaises et allemandes, il est pris au piège au sens figuré comme au sens propre. Il fuit mais n'arrive pas à s'enfuir du champ de bataille et il finit par être happé par des barbelés qui l'immobilisent. Dans une scène digne de Joyeux Noël de Christian Carion, Joey retrouve d'abord la liberté, puis son ami Albert qui s'est engagé dans l'armée pour venir sur le front et le retrouver.


Mon grand-père a appris par une indiscrétion, ou peut-être par la bienveillance d'un soldat allemand qui comprenait sa peine, qu'un convoi ferroviaire vers l'Est allait quitter Bitche à la fin de la semaine. Deux jours avant, Nicolas a enfilé son costume du dimanche et a pris un train tortillard pour Bitche. Une fois sur place, il s'est renseigné sur le lieu de parquage des chevaux réquisitionnés et s'y est rendu à travers champs et prés.


Albert est blessé à la tête et momentanément privé de la vue, il est soigné dans un hôpital de campagne qui accueille également Joey, libéré des barbelés mais gravement blessé. Joey reconnaît Albert au hululement de chouette qui était leur signe de ralliement au temps heureux dans le Devon. Le médecin de cet hôpital, d'abord réticent, décide alors que vétérinaire et docteur des hommes ne sont pas si éloignés.


Un cheval a quitté au galop le troupeau qui paissait et est venu à sa rencontre en hennissant. De loin, Bella a reconnu Nicolas venu le voir une dernière fois pour lui dire adieu avant que le train ne l'emporte.


Albert et Joey se retrouvent et retournent à leur ferme anglaise.


Nicolas et Bella ne se reverront jamais.


Cheval de guerre de Steven Spielberg aurait dû plutôt s'appeler Un cheval à la guerre. Il n'est pas un film de guerre au sens propre, mais plutôt un magnifique conte ayant la guerre comme toile de fond. Il est une histoire d'humanité entre l'homme et sa plus noble conquête et entre un cheval et son plus fidèle compagnon.


J'ai aimé Cheval de guerre parce qu' il est entré en résonance en moi avec une histoire et même une double histoire profondément enfouie dans ma mémoire.


Peut-être Bella et Joey galopent-ils de concert dans une grande prairie fleurie et que je peux les voir, en fermant les yeux.

Freddy-Klein
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le 6 mai 2021

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