Bénéficiant à sa sortie d’un buzz fourni clé en main par les ténors du FN, accusant Lucas Belvaux d’avoir généré un « navet » contre leur parti, deux mois avant l’élection présidentielle, Chez nous débarque en salles, avec un public attentif à un sujet peu traité dans le cinéma francophone, la politique. Laissant de côté l’élection à spectacle qu’est la présidentielle, le film se concentre sur la politique locale, le fonctionnement interne du FN ainsi que celui du militantisme d’extrême droite. Le résultat est moins stupide que prévu : si quelques données sont traitées de façon presque caricaturales, l’ensemble témoigne d’une certaine justesse, ainsi que de la considération pour son sujet. Emilie Dequenne est parfaitement crédible en infirmière libérale, à l’écoute de ses patients, quels qu’ils soient. La faiblesse de son personnage, Pauline, est parfaitement exécutée : peu cultivée, respectueuse de ses aînés, sans être fascinée par leur prestige, incapable de dire non, excepté en cas d’atteinte portée à la marche de son quotidien, banal au possible. C’est une jeune femme qui a peu d’avis, mais qui veut bien faire. Le manque de reconnaissance flagrant de son entourage, à commencer par son propre père, originellement communiste, la mène à la rechercher ailleurs, dans la politique, qu’elle aborde avec une simplicité habilement exploitée par le Bloc Patriotique, à la recherche d’une image d’Épinal qui puisse provoquer l’assimilation de l’électeur visé. Le marketing en marche, Pauline n’a plus besoin de se préoccuper du programme qui lui permettrait de décrocher la municipalité, ni de ses cheveux. Dépossédée de tout, passive, jusqu’à l’usure, elle laissera le parti agir, tant que la balance penche du côté de ses idéaux.


C’est dans la représentation de la population française que Lucas Belvaux excelle le plus. Les rues désertes des villes aux centres qui se vident, les patients décatis de Pauline qui lui mènent la vie dure, la télé vissée sur Patrick Sébastien et sa beauferie, reprise en chœur par ses enfants, les repas où les discours racistes se banalisent, les parents qui éructent des menaces sur l’arbitre, parce qu’il a mis un carton à leur fils lors d’un match de football amateur. Télévision partout, culture nulle part. La question se pose en revanche pour les voix alternatives : les personnages, ou plutôt, la seule amie de Pauline qui se situe à gauche sur l’échiquier politique est si grotesque, que l’on est en droit de se demander si c’est fait exprès ou non. Idéologiquement à part, elle caractérise ce réveil tardif de l’individu qui prend subitement conscience que le groupe social auquel il appartient a définitivement changé. Malgré ses manifestations et ses protestations, elle ne peut rien faire, se contentant d’assister aux évènements qui se succèdent. Impuissante, elle disparaît de l’histoire sans trop d’émules, comprenant que la lutte est impossible.


Chez Nous est cependant beaucoup plus faiblard dans la thématique qui constitue pourtant son sujet principal, le FN / Bloc Patriotique. Les apparences sont sauvées par André Dussolier, plus convaincant dans son rôle de médecin conservateur qu’une Catherine Jacob dans l’incarnation qu’elle propose de Marine Le Pen. Peu souriante, le visage fermé, elle débite des discours si mal écrits qu’on comprend difficilement comment il est possible que le public qui se tient en face d’elle dans les gradins soit si facilement acquis à sa cause. Autre cas de figure où ne sait pas si Belvaux cherche à montrer l’inanité du laïus de l’extrême droite, à l’aide de grosses ficelles, ou si ses recherches n’ont pas été assez poussées sur la rhétorique du Front National. La seconde explication est également valable pour les personnages du GUD, dont les dialogues sont effarants de bêtise. Si les liens entre le Bloc et ses gros bras sont correctement illustrés, à aucun moment les brutes qui vont enfermer des Roms dans un local sordide ne paraissent plausibles, et surtout pas quand une participante s’exclame « je vais mettre la photo des Roms sur le net, pour donner des idées aux autres ! ». En 2017.


Le problème de Lucas Belvaux est peut-être d’avoir voulu raconter trop de choses. La chronique d’une bourgade sinistrée, alpaguée par le Bloc Patriotique, qui y trouve un point d’ancrage, était suffisamment parlante, pour ne pas la noyer sous des effets faussement spectaculaires, à base de scènes inutiles, de répliques effarantes (« Tu pratiques ? », quel catholique pour demander une choses pareille à une personne jamais vue auparavant ?), et de conspirationnisme de chambre d’adolescent. Reste l’éclairage apporté sur un parti qui n’est pas aussi propre qui le prétend, où les défections restent nombreuses, et l’incompétence généralisée. Cela dit, il y a peu de chances que les électeurs déterminés à voter FN aux prochaines échéances électorales, que ce soit la présidentielle, les législatives ou les municipales se déplacent pour aller voir Chez nous.

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le 11 mars 2017

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-Ether

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