A deux mois des élections présidentielles, Chez Nous décortique les discours populistes d’un parti d’extrême-droite directement inspiré du Front National. Parfois maladroit dans sa démonstration, Lucas Belvaux a le mérite de vulgariser les ressorts de la dédiabolisation.


Le petit village d’Hénard est encore désert à l’aube, et pas très vivant la journée. Dans un champ voisin, un agriculteur déterre un vieil obus, témoin silencieux de la folie passée des hommes, qui oublient vite. Et puis, en fond sonore, régulièrement, les médias distillent la peur du chômage et contribuent à entretenir un climat de méfiance envers les étrangers. Là, Pauline (Emilie Dequenne), une infirmière appréciée de tous et qui s’estime “plutôt de gauche”, sera peu à peu instrumentalisée par un parti d’extrême-droite.


Affublée d’une perruque blonde, Catherine Jacob (excellente et très à l’aise) incarne Agnès Dorgelle, leader d’un parti qui veut faire peau neuve et se débarrasser de son image raciste. Toute ressemblance avec Marine Le Pen est purement intentionnelle : de Hénard à Hénin-Beaumont, il n’y a qu’une fine pellicule. Flanquée du Docteur Berthier (André Dussollier), elle convainc Pauline de porter leur programme aux municipales.


L’argumentaire visant à embrigader la jeune femme est souvent maladroit, comme si André Dussollier, pourtant aussi désarmant qu’il en est capable dans le reste du film, portait inconsciemment à l’écran le rejet de son propre discours. Et comme si Emilie Dequenne peinait à feindre la naïveté. On n’échappe pas à l’écueil tristement révélateur “bof, voter ça sert à rien”, symbolique de la lassitude d’un pays qui ne sait plus trop vers qui se tourner, et qui laisse entrer le loup dans la bergerie. Chez Nous montre, entre autres, le contexte qui permet aux extrêmes de s’installer.


La conversion de Pauline est un peu facile mais illustre de manière effrayante la notion de conformisme : plus elle réalise qu’elle connaît de gens votant à l’extrême, plus sa perspective change et elle assume de porter à son tour les valeurs du parti. Après une molle résistance à leurs arguments, elle finit par accepter leur proposition et découvrir progressivement l’envers du décor.


Dans sa séquence la plus efficace, Chez Nous met en lumière les contrastes entre les discours populistes flamboyants où l’on chante la Marseillaise, et les groupuscules fascistes qui déshumanisent et passent à tabac des réfugiés. Une des méthode principales de dédiabolisation consiste d’ailleurs à se détacher officiellement de toute connotation raciste, en évitant les termes qui fâchent, les remplaçant par “extrêmistes”, “communautaristes”, ou simplement… “Islam”.


“Changer de stratégie, ce n’est pas changer d’objectif”, affirme un personnage, en une phrase qui résume tout simplement le propos de Lucas Belvaux. Il ne cherchait pas à faire un film militant, mais espère pouvoir marquer quelques esprits. Il est malheureusement probable que les seuls réellement touchés par Chez Nous soient les esprits déjà convaincus.

Filmosaure
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le 4 mars 2017

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