Il est difficile de cerner comment Samuel Benchetrit peut enchainer les films en passant d'une comédie avec José Garcia à un tout petit film passé inaperçu (Un voyage, qui méritait pourtant d'être vu) au film choral au casting de stars. Même si quelque part, il fait encore une fois le grand écart en passant du collectif d'Asphalte à l'individuel de Chien on perçoit cette fois une certaine cohérence avec son dernier film. Par le biais de la comédie le film s'ingénie encore une fois à démontrer une certaine aliénation des individus dans le cadre urbain. Mais là ou Asphalte s'accordait sur une note positive, Chien en est clairement la face dépressive.


L'esthétique générale du film est tournée vers la grisaille et ce dès le plan d'ouverture où le personnage principal Jacques Blanchot (notez le nom) se fait larguer en beauté par sa femme incarnée par Vanessa Paradis dont le maquillage exagérée la rend encore plus pâle que normal (c'est dire !). Jacques va alors errer entre quartier bétonné dont les décors sont constitués de terrains vagues et de réacteurs de centrale nucléaires, chambre d'hôtel au couleurs pastels blafardes, et un boulot dans un magasin d'art délabré. La force du film est de tourner cette grisaille en dérision. De ce côté là, le film lorgne du côté de Roy Andersson dans la création de saynètes ultra cadrées et d'un humour totalement absurde. Le jeu des acteurs y est aussi pour beaucoup, et en particulier celui de Vincent Macaigne (habitué aux rôles de mecs un peu paumés) dont la naïveté et la gentillesse (trop bon trop con) est en décalage de plus en plus grand avec sa situation désespéré. Vient s'ajouter à tout cela un délire canin dont je ne dévoilerai pas les tenants et les aboutissants ici pour ne rien gâcher. L'humour acide déclenche plusieurs éclats dans la première moitié, mais le film glisse progressivement vers quelque chose de presque sordide, ce qui en amplifie sa force car à la fin on est passé de la simple pochade à un film qui amène une véritable réflexion.


Le film n'est pas parfait. On pourra lui reprocher notamment son manque de jusque boutisme dans le propos. D'une manière similaire aux films d'Andersson, le fait de sur-écrire et sur-cadrer les scènes, bien qu'apportant un vrai plus au film pour l'humour laissent aussi un peu trop l'émotion de côté. Émotion qu'on peut quand même sentir poindre dans le dernier monologue, mais il aura fallut attendre la toute fin. Cependant, le film reste un objet au ton assez unique et rare pour être défendu (surtout dans le paysage de la comédie française où le film se retrouve en concurrence sur les écrans avec Dany Boon et Frank Dubosc - faites votre choix...), et mérite qu'on s'y intéresse. En réussissant coup sur coup deux films en adaptant ses propres romans, Benchetrit montre en même temps qu'il a un propos et un ton bien personnels dignes d'encouragements.

yhi
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le 18 mars 2018

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