Il arrive que les adaptations de romans se montrent supérieures au matériau original. Ainsi Christine, tiré du roman éponyme de Stephen King, présente-t-il comme immense avantage de parvenir à combiner le récit de départ avec un élément essentiel de celui-ci : le rock ‘n’ roll. Car si les paroles de nombreux morceaux à succès des années 50 parsèment le roman, celui-ci ne parvient hélas pas à retranscrire leur rythme, ni même l’ambiance de leur époque. À la différence du roman, par contre, le film double bien sûr les images d’une bande son et dans celle-ci de nombreuses compositions émaillent la réalisation ; parmi d’autres, on y trouve des morceaux de choix d’artistes et groupes à succès d’antan comme d’aujourd’hui tels que Ritchie Valens (1941-1959) ou The Rolling Stones.


Si cette bande originale contribue beaucoup à donner son identité au film, en réussissant là où le roman original échouait, c’est-à-dire en rendant un vibrant hommage à ces années 50 sans pareilles dans toute l’histoire des États-Unis, elle ne prend toutefois sa véritable envergure qu’une fois mise en opposition avec les différents morceaux composés par le réalisateur lui-même et son complice préféré, Alan Howarth : des partitions modernes à base de synthétiseurs et de boites à rythme qui contrastent bien sûr énormément avec ceux de la génération précédente, créés à l’aide d’instruments certes modernes mais néanmoins devenus bien plus traditionnels à l’époque de ce film. Voilà comment, et d’une manière somme toute bien inattendue avec un tel thème, Christine illustre avant tout l’éternel fossé entre les générations.


Ce portrait se fait ici à travers un autre, celui de l’adolescence, âge de tourments et de misère morale où, à force de se chercher, des jeunes personnes en viennent parfois à renier leur héritage familial ; il arrive même que ce soit tout à fait justifié dans certains cas : il y a des parents, on le sait, qui se donnent plus ou moins volontairement pour rôle d’empêcher leurs enfants de grandir, ceci afin de reprendre les propres termes d’Arnie dans le film… Grâce à Christine, celui-ci trouvera son propre chemin vers l’émancipation vis-à-vis de ces parents qui l’étouffent depuis trop longtemps : l’automobile, on le sait aussi, reste avant tout synonyme d’indépendance et de liberté – la preuve en est qu’on obtient souvent sa première voiture bien avant son premier appartement…


Dans ce cas précis, toutefois, ce thème du teen age se double aussi d’un autre, tout aussi éternel : les émois du premier amour qui, justement, apparaissent le plus souvent pendant cette adolescence déjà citée et qui ne représentent au fond qu’un autre chemin vers cette délivrance tant souhaitée par rapport à l’influence familiale. Toute la question, dans le cas qui nous occupe ici, consiste à savoir qui est l’objet réel des désirs d’Arnie, tout comme il vaut de savoir aussi laquelle de ses conquêtes se montrera la plus excessive, la plus vorace dans cet échange somme toute bien plus dangereux quand il s’avère à double sens – c’est une autre des tirades d’Arnie : rien n’arrête un amour réciproque, absolument rien.


Mais la peinture que brosse Christine comprend aussi une critique habile de ce culte de l’automobile caractéristique des nations industrialisées, et en particulier de cette Amérique qui s’est bâtie sur la voiture en conditionnant ainsi les plans de ses villes tout en donnant un rôle central à l’industrie pétrolière et en prolongeant le nomadisme typique des différentes générations de colons par la construction de vastes réseaux d’autoroutes qui permettent de voyager sans encombres d’un bout à l’autre du pays.


À ceci s’ajoute des qualités de réalisation tout à fait réussies et d’autant plus étonnantes qu’elles se montrent capables de beaucoup avec bien peu, notamment dans cette scène admirable de « réparation » de Christine qui nous rappelle qu’on savait faire des effets spéciaux saisissants bien avant l’avènement du virtuel…


Écho d’hier, par ses thèmes comme par son âge, Christine reste depuis maintenant 30 ans une grande réussite du cinéma fantastique des années 80, et même un film culte pour certains.

LeDinoBleu
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Fantastique et Les meilleurs films de John Carpenter

Créée

le 20 juil. 2013

Critique lue 488 fois

11 j'aime

2 commentaires

LeDinoBleu

Écrit par

Critique lue 488 fois

11
2

D'autres avis sur Christine

Christine
B_Jérémy
9

John Carpenter rencontre Stephen King

N’aie pas peur. J’ai peur pour toi mon vieux, pour ce qui t’arrive pour toi et cette putain de bagnole. Je sais que tu es jaloux, mais on restera ami tant que tu resteras avec moi. Et tu...

le 7 nov. 2018

59 j'aime

40

Christine
Docteur_Jivago
8

Crash

Quelques bruits de moteurs pour accompagner le générique et d'un coup le génial Bad to the Bone de George Thorogood et de ses Destroyers, voilà comment être conquis dès le début ! Ici, John Carpenter...

le 15 janv. 2015

52 j'aime

14

Christine
langpier
10

Les abjections de l'adolescence

Dans leur domaine, Stephen King et John Carpenter s'équivalent. Tous deux maîtres de l'horreur, mais dans leur univers, ils sont deux grandes figures à la renommée internationale, deux emblèmes d'un...

le 30 janv. 2015

33 j'aime

24

Du même critique

Serial Experiments Lain
LeDinoBleu
8

Paranoïa

Lain est une jeune fille renfermée et timide, avec pas mal de difficultés à se faire des amis. Il faut dire que sa famille « inhabituelle » ne lui facilite pas les choses. De plus, Lain ne comprend...

le 5 mars 2011

45 j'aime

L'Histoire sans fin
LeDinoBleu
8

Un Récit éternel

À une époque où le genre de l’heroic fantasy connaît une popularité sans précédent, il ne paraît pas incongru de rappeler qu’il n’entretient avec les légendes traditionnelles qu’un rapport en fin de...

le 17 août 2012

40 j'aime

Capitaine Sky et le Monde de demain
LeDinoBleu
8

Pulp (Science) Fiction

La science-fiction au cinéma obtient rarement l’assentiment des amateurs du genre dans sa forme littéraire, parce que cette dernière privilégie les idées et les émotions au spectaculaire et aux...

le 31 juil. 2011

33 j'aime

8