La parabole est limpide, à défaut d'être subtile : c'est la gueule de bois d'un pays que nous propose de suivre Andrew Dominik, celle des Etats-Unis des bas-fonds, de l'underworld des petits criminels, des pouilleux économiquement asphyxiés par les révolutions de palais se jouant dans des sphères trop hautes pour qu'elles ne puissent être perçues autrement que comme un bruit de fond, un environnement sonore quotidien mais finalement inaudible. Et ce n'est pas l'éventuelle élection de son premier président noir qui bouleversera l'inertie mortifère des ghettos américains : l'horizon n'y existe pas, ses hommes ne peuvent que y attendre la mort, nécessairement proche, nécessairement violente. On a parfois invoqué Tarantino pour parler du film de Dominik, mais s'il fallait se plier au jeu des comparaisons hâtives et superficielles, j'aurais davantage tourner le regard du côté de David Simon et de the Wire : en effet, même manière de filmer ses paysages urbains laissés à l'abandon comme des ruines post-apocalyptiques, même sensation d'hébétement et de stupeur de vivre chez leurs personnages, une volonté farouche de se refuser à porter tout jugement moral envers eux...

J'avais trouvé de la matière à m'enthousiasmer. Mais c'était oublier le fait qu'Andrew Dominik avait réalisé l'Assassinat de Jesse James, sommet cinématographique de l'esthétique de la coquille vide. Des effets de mise en scène poseurs donc, aussi nombreux qu'inutiles, viennent parasiter un film qui avait du potentiel. Les insuffisances du metteur en scène ne sont toutefois pas les seules à jouer en défaveur de ce Killing Them Softly, Dominik étant bien épaulé par son producteur éxécutif, et accessoirement acteur principal, Brad Pitt, tout simplement trop glamour pour la fange (ou alors, pas assez bon) : à chacune de ses apparitions, et tandis que le reste du casting est plutôt très bon, on ne le voit rien faire d'autre que jouer aux gangsters, ne parvenant jamais à habiter son personnage, incapable d'être autre chose que lui-même, à savoir Brad Pitt, superstar hollywoodienne.

Alors certes, vouloir parler avec clarté et pertinence de l'Amérique d'aujourd'hui à travers la figure du gangster, mythe yankee s'il en est, c'est pour le moins faire preuve d'ambition ; une grosse confiance en soi et en son talent n'étant pas non plus de trop. Mais à force de se regarder filmer, Dominik en oublie une nouvelle fois de penser véritablement sa mise en scène, d'aller au-delà de la joliesse creuse. Ce sera pour une prochaine fois (ou pas).
Garrincha
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le 6 janv. 2013

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