Vu une fois.

Los Angeles, agglomération hébergeant Hollywood et capitale de la côte ouest des USA, est peut-être la ville la plus représentée au cinéma, avec New York. Pourtant je ne m'en lasse pas, son étalement tentaculaire reste hypnotique, elle mêle une infinité d'univers antagonistes, entre les gratte-ciel et la banlieue, les bureaux et la plage, les millions d'habitants et le désert proche. Qui plus est dans Collatéral, Michael Mann, fidèle à son style et à ses habitudes, peaufine la photographie et l'ambiance, nous montrant une Los Angeles endormie en plein cœur de la nuit. S'il y a encore un peu de trafic à l'entame du film, en début de soirée, rapidement les rues se vident, et seules les populations noctambules ou un peu louches poursuivent leurs activités. Mann nous montre donc des rues vides et impersonnelles où il est possible d'initier une fusillade sans éveiller l'alerte ou être dérangé par les témoins, multiplie les plans aériens d'une métropole illuminée par les lumières artificielles des éclairages publics et des buildings, mais figée dans son sommeil.

Le pitch est connu, un Max, chauffeur de taxi, prend un client qui lui propose généreusement de le conduire en divers points de la ville durant toute la nuit, et accepte sa proposition, avant de rapidement découvrir qu'il a sur sa banquette arrière un tueur à gage capable du meilleur comme du pire...

Et le tueur (Tom Cruise) semble s'amuser et jouer avec le chauffeur de taxi (Jamie Fox), comme un chat joue avec une souris avant de la tuer. D'ailleurs, nous ne saurons jamais quelles sont les véritables intentions du tueur à l'encontre de son associé d'une nuit. S'il semble l'apprécier et lui sauve la vie durant la fusillade de la boite de nuit, sa personnalité détachée et les faits prouvent qu'il est capable de tuer quelqu'un qu'il trouvait sympathique, et durant son enquête sur cette listes de cadavres qui s'amoncellent, le flic évoque un précédent d'histoire de chauffeur de taxi sans histoire qui avait pété les plombs une nuit et tué plusieurs personnes avant de se « suicider »... Un précédent contrat de Vincent ?
Parce que quand on est tueur à gage professionnel, on est assez débrouillard pour se déplacer seul dans une ville, même dans Los Angeles. En tout cas, à partir du moment, très rapide, où Max a compris quel était le job de son passager, il paraitrait plus sûr pour ce dernier de l'éliminer et de reprendre sa mission seul, ou en appelant un autre taxi, plutôt que de tenter le diable en improvisant avec ce complice forcé et peu coopératif.

Donc partons du postulat que Vincent voulait jouer, pimenter sa soirée d'exécutions, qu'il considérait pouvoir mener les doigts dans le nez avec la liste précise de ces cibles, leur localisation et l'effet de surprise. Et Max va lui apporter de l'imprévu, du challenge, d'abord par sa nervosité, puis en essayant de fausser compagnie à Vincent, ce qui à chaque fois va déboucher sur toujours plus de cadavres, puis quand il va craquer et détruire tous les documents concernant le contrat d'exécution... Vincent aurait pu le tuer de colère à ce moment-là, il aurait dû, s'il avait été un méchant lambda. Mais il s'agit d'un personnage de anti-héros, trempé dans les nuances de gris, ou peut-être même comparable au personnage du Terminator en raison de son extrême détachement et professionnalisme : « No Hate, Just Kill », comme dirait un de mes amis, ce mec n'éprouve aucune haine, vice ou perversion, il se fout de tout le monde et se contente d'éliminer ses cibles, et les obstacles qui se dressent sur la route, qu'ils soient gardes du corps, petits truands, ou flics.

Max est autre chose pour Vincent, il est son « challenge », la cerise sur le gâteau, un petit chauffeur de taxi sur lequel il a tillé en raison de son professionnalisme à lui aussi, qui, avant que la première élimination ne foire, lui a semblé être un type bien et capable de le conduire toute la nuit dans Los Angeles en évitant les embouteillages et les retards. Vincent a foiré et sa première cible, touchée par ses balles, est passé à travers de sa fenêtre pour s'écraser droit sur la voiture de son « cab », qui attendait sagement pour poursuivre sa course. Comme Vincent n'est pas le connard de base, il se rend compte que cette situation fâcheuse est entièrement de sa faute et que le chauffeur n'a pas mérité sa punition définitive, alors plutôt que de le refroidir et le balancer dans une benne à ordure, ce qu'il pouvait faire sans aucun problème, il l'a, au contraire, pris sous son aile pendant les trois quarts du film.
Tom Cruise bouffe logiquement Jamie Fox à l'écran, car son rôle est plus valorisant. Il a la confiance, l'assurance, le talent, flirte au quotidien avec la mort et a une répartie affutée. A côté, le petit chauffeur de taxi, qui semblait lors de la scène d'intro très professionnel, s'assurant de la propreté totale de son véhicule, de l'exactitude de ses parcours et tenant la conversation avec ses clients, est très vite remis à sa place : Il est un petit, avec une vie morne, sans destin, sans véritable projet en dépit de son discours... Un boulot alimentaire provisoire de 12 ans, ça commence à faire du provisoire qui dure et une vie de minable. La flamboyance du tueur va servir d'électrochoc au chauffeur de taxi, otage et complice, contraint dans le forfait puis de plus en plus consentant dans la discussion, de son ravisseur. Et cette prise d'otage va lui permettre de se révéler, au contact de situations extraordinaires. Car une nuit de travail de tueur à gage propose des situations plus exotiques et plus intenses que celle de chauffeur de taxi. Max va rapidement dompter sa peur, et, excédé par Vincent, poussé à bout par les provocations de ce dernier, relever le défis en décidant de saboter la mission de son encombrant client, quitte à y passer.

C'est ainsi qu'il craque et envois chier Vincent le tueur, quand il balance son attaché caisse contenant toutes les données nécessaires à l'accomplissement du contrat d'élimination... Vincent voulais de l'improvisation, du jeu, du challenge, soudainement, la souris lui en offre bien plus qu'il n'en demandait, et il se retrouve à poil, dépourvu... le temps de penser à un plan C. Ce craquage de Max rallonge l'intrigue, crée un nouvel obstacle dans la course des deux personnages principaux, mais va les amener à évoluer, et amorcer l'explosion du couple lors de la dernière partie du film. Pour punir Max de son caca nerveux compromettant, Vincent l'envoi en mission de récupération d'une copie des données perdues, chez son employeur : un groupe mafieux. Le tueur professionnel ne s'est jamais montré physiquement devant ses clients pour des raisons de sécurités, alors il s'agit d'une mission suicide, particulièrement pour un Max étranger aux usages de la mafia et raide comme un piquet à cause du stress. Pourtant le personnage, jusqu'ici effacé, va se révéler sous la colère et la menace de l'employeur, enragé de voir son contrat partir en cacahuète : Voyant le couperet de la mort prêt à s'abattre sur lui quand un porte flingue se glisse inexorablement dans son dos, le faux tueur/vrais taxi va mettre plus d'implication dans son rôle, et se prendre véritablement pour Vincent, en mimant ses répliques cinglantes, son arrogance, ses certitudes. Désarmé, seul dans une boite de nuit tenue par la mafia, avec une tripotée de sbires dans son dos, il parvient, par sa nouvelle confiance et son blabla, à faire reculer ses agresseurs et à convaincre l'employeur de lui pardonner sa bévue, de lui redonner la copie tant désirée des fichiers manquant.

Quand il remonte dans le taxi, Vincent pense que le chauffeur a sauvé sa mission, mais il ne sait pas qu'en fait, il vient de réveiller lui-même son plus grand adversaire, celui qui précipitera sa perte. Quand la souris mange le chat...

Cinq contrats, cinq cibles pour une course de taxi pas comme les autres. Si quelques événements sont parfois prévisibles, comme l'identité de la dernière cible du contrat, celle de trop, celle qui fera imploser l'instable association, plusieurs rebondissements ou déroulement de scènes surprennent dans ce film. Quand, juste après la première exécution et la chute du cadavre sur le taxi, celui-ci, parebrise fendu et couvert de sang, se fait arrêter par une patrouille de police, qui demande à vérifier le véhicule en passant par le coffre, qui contient le cadavre encore chaud, ça ne sent pas bon pour les flics. Vincent a déjà son automatique en main et a annoncé la couleur à son chauffeur quelques minutes plus tôt : « S'ils ouvrent le coffre, ils finissent dedans ». On croit d'abord que le chauffeur va trouver un argument pour sauver les deux flics, puis on se dit qu'ils sont foutus, et puis un appel radio sur leur fréquence les envois sur une mission plus importante, et moins dangereuse. Sauvés ! Dans le même genre, après la seconde exécution, Vincent explique qu'il est en avance sur son planning et invite son « hôte » à boire un verre au bar pour le décontracter. Ambiance Jazzy, ça tombe bien, Vincent kiffe le jazz, les nerfs s'apaisent, la course à la mort semble s'effacer quelques instants, pour laisser place à un dialogue plus normal, humain. Vincent, impressionné par le jeu de trompette du tenancier, l'invite à table pour parler musique et Miles Davis. Les trois discutent avec passion, ont les yeux qui brillent à écouter, et raconter des anecdotes. Le téléspectateur commence à se dire que ce tueur à gage n'est pas si froid que ça, qu'il a lui aussi ses passions, quand deux mots à priori anodins suffisent à faire basculer la discussion amicale en annonce de mort. L'arrêt n'était pas une pause, mais la troisième exécution du contrat, et le tenancier, si sympathique, est la troisième cible...

Le traitement psychologique de cette scène est superbe, le tenancier comprend immédiatement qu'il est foutu alors que le taxi, encore naïf, a besoin de quelques secondes supplémentaires pour prendre conscience du drame auquel il assiste. Vincent semble magnanime en offrant une chance de survie et de disparition à sa cible, le chat joue encore, cette fois avec un canari, qui accepte de tenter sa chance. En vain, il répond à la question à 2 balles de son inquisiteur, mais fini plombé illico. A-t-il mal répondu ? Où Vincent est-il mauvais joueur et a-t-il failli à sa parole ? L'ambiguïté du personnage interprété par Tom Cruise est encore plus troublante à l'issue de cette exécution, peu rassurante quant aux chances de survies de son chauffeur.

L'intrigue policière, basée sur une enquête, puis une traque, puis une confrontation, est elle aussi surprenante. Tandis qu'un inspecteur perspicace rassemble les pièces du puzzle et essaie d'imposer sa vérité à ses collègues et supérieurs, on se dit que la fin du film se jouera entre le tueur et la police, avec au milieu des tirs le pauvre chauffeur de taxi. Mais il suffit d'une fusillade chaotique et sans pitié dans une boite de nuit bondée, où les balles fusent au milieu des cris d'une foule paniquée, qui finit en exécution du quatrième contrat, pour rabattre totalement des cartes et éliminer de l'équation le facteur police/FBI. Non, les deux personnages principaux sont Vincent et Max, et si au début du film le rapport de force entre les deux semblait totalement inégal, le second semble désormais déterminé à tenter sa chance, paré d'un courage qu'il ne s'imaginait pas posséder.

Arrive le dernier contrat, qui referme la boucle entamé au début du film, sur la base d'un retour au building ou la course de taxi avait commencé. Malheureusement Michael Mann perd la maitrise de son histoire et de son film pour se final un peu alambiqué. La dernière cible du tueur n'est autre que la première cliente du taxi, avec qui il a un début de ticket. Cette fois, Max ne veux pas rester passif et compte bien sauver la potentielle future femme de sa vie, quitte à se frotter pour de bon au chat toutes griffes sorties. On remarquera ainsi que le monde est petit malgré les 17 millions d'habitants vivant à Los Angeles. Et l'on n'y croit moyennement quand Max, le chauffeur de taxi qui n'a jamais tiré de sa vie (il sait retirer le cran de sureté, c'est déjà ça) mais qui vient de récupérer un flingue en chemin, parvient à tenir tête au super tueur que l'on a vu décimer une bonne dizaine de gars durant l'heure et demie qui vient de s'écouler... Puis il y a cette poursuite dans le building, où cette fois on se demande comment Vincent arrive à trouver à chaque intersection quel chemin prendre, quel métro choisir pour ne pas perdre la piste de sa cible. Enfin, il y a ce duel final, très western, face à face à 3m de distance, dans l'obscurité d'un tunnel. Les deux vident leur chargeur, Max n'a plus de munition, Vincent recharge et pense avoir gagné, avant de se rendre compte qu'il a été mortellement touché au ventre... Alors comme ça, il faisait mouche sur tout ce qui bougeait depuis le début du film, et là, il vide un chargeur sur un gars lui faisant face à 3m sans le toucher une seule fois ? Really ? Really ???

Un final facile et décevant, même si le symbole d'un Vincent s'asseyant pour mourir discrètement dans le métro, dans l'indifférence des passagers, fait écho à l'une des premières discussions entre le taxi et son client en début de course sur le caractère impersonnel de cette ville, avant que tout ne dégénère. En quelque sorte, une nouvelle fois, la boucle est bouclée et le film présente globalement de beaux entrelacements de détails ou anecdotes développant la psychologie des personnages et créant le mystère, l'ambigüité. Dommage que le dénouement de ce 5ème contrat soit bancal et expédié, car avant cela, pendant 90 minutes et 4 contrats, ce Collatéral faisait dans la frappe chirurgicale.

Les plus :
_Los Angeles endormie
_Le tueur a la classe
_Le bluff du chauffeur de taxi pour récupérer la clef de données
_Psychologie ambiguë entre les deux personnages principaux
_Intrigue policière bien construite, puis déconstruite
_La scène du bar de Jazz, inattendue
_Tom Cruise avec les cheveux grisonnant, ça change de son état d'adolescence perpétuel depuis 25 ans...

Les moins :
_Le dernier contrat, un peu facile
_La fusillade dans la boite de nuit, chaotique
_Heureusement pour les scénaristes, les balles perdues ne le sont pas pour tout le monde.
_Plus propret que ce à quoi je m'attendais
Dauntless
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le 27 févr. 2012

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