Cage thoracique
Finalement, quoi de plus logique que la planète Nicolas Cage pénètre l'univers de H.P. Lovecraft ? On peut même se poser la question: comment la chose n'est pas arrivée avant ? Mais oui: Cage. Cage...
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On ne peut le nier, Color Out of Space est un excellent film d'horreur.
Mais ...
On ne peut le nier, malgré ses nombreuses références et allusions à la nouvelle de 1927 et à l'univers de Lovecraft tout entier (notamment le Necronomicon), Color Out of Space n'est pas l'adaptation de La Couleur venue d'ailleurs. C'en est une. Une seulement. Une des nombreuses transpositions modernes au goût du temps comme cela se fait de plus en plus.
De la cuisine renouvelée, dont voici à peu près la recette:
Un peu de Conjuring, pour faire sursauter, entre suggestions et monstrations, loin de cette atmosphère en focalisation externe littéraire, qu'Oz Perkins aurait sans doute mieux su rendre, de manière moins consensuelle et, partant, moins commerciale.
Un peu de Shinning, bien-sûr pour permettre à Nicolas Cage de renouer avec ses premières amours de carrière. Sa prestation, impressionnante, est d'ailleurs l'un des points forts du film même si on sent Jack Nicholson le posséder assez vite, au point que le changement de personnalité, très radical, peut parfois sembler faux, artificiel. Mais quel plaisir !
Un peu de Stanger Thing, c'est à dire un personnel renouvelé pour mettre les enfants plus au centre de l'intrigue, pour changer les paysans en altermondialistes, le tout pour parler aux embullés du Village Global. Une version qui se veut étrangement familiale et donne dans le conflit des générations.
Un peu de metooïsme, aussi, la nouvelle de Lovecraft s'écrivant plutôt au masculin. On change tout et on recommence, remplaçant Ammi et le narrateur, protagonistes masculins de l'histoire, par une jeune adolescente au caractère affirmé qui mène un troupeau de mâles et une mère affaiblie au doigt et à l'oeil. Mais aussi, face à elle, un père au foyer qui se change en psychopathe dangereux ("tu sais, je ne suis pas comme ça, je ne suis pas comme mon père") et qui traite sa femme mutante en chienne à qui on donne l'écuelle. Un père qui oscille en fin de film entre attardé et zombi féroce. Color Out of Space, c'est un peu Lovecraft sauce Buffy contre les vampires.
Un soupçon de Black Lives Matter, c'est à la mode. Un soupçon parce que discret. Un soupçon parce qu'on ne peut que le soupçonner à de maigres indices: le narrateur devient un jeune métis (écart esthétique ou détournement des servants de l'Appel de Cthulhu ?) et il survit dans un enfer blanc à une famille de blancs et à des voisins blancs tous rendus fou par une couleur venue d'ailleurs ... Ce n'est peut-être que songe inspiré par les Grands Anciens ou le spectre d'un auteur misanthrope.
Un peu d'écologie, évidemment ! Puisque la nouvelle parle d'eau, de dessèchement, de décrépitude de la Nature. Le mauve du deuil et le blanc maladif succèdent au vert boisé de début de film. Un point pas inintéressant.
Une métaphore de la décrépitude grise des corps dans le livre au service d'une sensibilisation glauque mais bienvenue (quoique venue d'out of the text) au cancer et à la chimiothérapie dans le film.
Color Out of Space n'est pas un mauvais film d'horreur, n'est même pas une mauvaise adaptation de la nouvelle lovecraftienne, c'est inspiré librement de, c'est différent de, c'est un certain regard sur l'air du temps qui plaira ou déplaira. C'est une conjugaison aux temps mélangés: 1882 en 2019 ou l'inverse ...
C'est, à tout prendre, le retour de Nicolas Cage à la folie des grandes heures, une belle galerie de monstres et de beaux visuels.
C'est à voir sans la nouvelle en tête, au risque d'être déçu, défavorablement surpris. C'est à voir comme une fiction inspirée de la nouvelle de Lovecraft ou comme la version nécessaire à certains esprits pour être frappés comme on devrait l'être par la nouvelle littéraire.
C'est une couleur à la fois IN et OUT, multispace.
Une couleur venue du XXIe siècle.
Créée
le 24 oct. 2020
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