Après un été peu glorieux en sorties cinés, le mois de septembre, généralement morne, devait être fidèle à sa réputation. Mais jamais avare en bonnes surprises, voici venir un western moderne filmé par un écossais, avec un Chris Pine convaincant. Comme quoi, tout arrive.


L’histoire prend place de nos jours, à l’ouest du Texas, dans les anciennes terres de commanches. Deux frères, pour ne pas perdre la ferme de leur mère récemment décédée, décident de voler à la banque créancière les milliers de dollars qui leur font défaut. Un shérif veuf, proche de la retraite, et son adjoint mi-amérindien mi-latino se lancent à leurs trousses.


La scène d’ouverture, sous forme d’un plan séquence élégant, pose tout de suite l’ambiance du film. Poussiéreux, ravagé par la crise, cet ouest sauvage ne fait plus rêver beaucoup de monde, à commencer par les américains eux-mêmes. Même les hold-up sont misérables. Pratiqués par un débutant et un impulsif, ils deviennent dangereux. La fin est annoncée d’emblée. Le film, crépusculaire, ne se départira pas de ce parfum de fin du monde du sud profond des USA, comme on a pu le voir dans des œuvres récentes comme True Detective, Mud, Killer Joe, Sicario ou des adaptations de Cormac McCarthy – No Country for Old Men en tête-. Les personnages sont comme leur état auquel ils sont attachés, abîmés mais avec leur fierté, et leur propre conception de la liberté. Dans un Texas plus si sauvage mais où les armes à feu pullulent, le sang et la poudre vont se mêler à la poussière.
Comancheria fonctionne par paires : d’un côté les deux frères Toby et Tanner, joués par Chris Pine et Ben Foster, de l’autre les policiers interprétés par Jeff Bridges et Gil Birmingham. Leur construction se fait en parallèle, montrant leurs similitudes et l’inéluctabilité de leur rencontre finale. Les flics sont évidemment des vieux de la vieille qui en ont déjà vu, Jeff Bridges étant forcément un veuf à deux doigts de la retraite à la limite du cliché, ils en sont heureusement sauvés par leur interprétation tout en nuance. Plutôt que de les montrer comme deux collègues que tout oppose et contraints de faire équipe, Mackenzie préfère en faire deux amis qui n’osent montrer leurs faiblesses et leur profond attachement l’un pour l’autre par pudeur masculine et fierté toute texane.

C’est l’occasion pour deux acteurs de blockbusters médiocres de cet été de se remettre sur les rails et de montrer leur talent, dans les personnes de Chris Pine (Star Trek) et Ben Foster (Warcraft). Sans en faire trop, ils parviennent à nous faire croire à leur fraternité et à leur passé compliqué. Si les frangins braquent des banques, Toby a mis en place un code : ne s’en prendre qu’aux succursales de la banque qui détient une hypothèque sur leur ferme familiale, utiliser le moins possible les armes à feu, que les texans portent en masse. On apprendra qu’il est loin d’être un jeune premier. S’il semble être le cerveau du groupe, étant en plus l’initiateur des hold-up, les rôles de meneur/mené seront régulièrement inversés avec Tanner, plus déterminé et expérimenté. Deux visions du bandit s’opposent, le premier, plus adapté au monde moderne, semble succéder au second, relique d’une époque révolue. Celle où braquer des banques, en l’absence de caméras, de traceurs de billets, d’encre indélébile, était sans doute plus simple. C’est l’histoire d’un inadapté au monde moderne, qui ne comprend pas ses codes, et qui ne peut vivre qu’en marge. Honni par les siens, il se sent plus proche des comanches que des texans. Dans la confrontation finale, seul contre tous, on est renvoyés aux meilleures heures du western et du film noir – la scène finale renvoie directement à High Sierra de Raoul Walsh (le titre original est d’ailleurs Hell or High Water).


Mais malgré ces destins tragiques annoncés dès les premières minutes de Comancheria, ce dernier réussit à ne pas sombrer dans le pathos, se permettant de nombreux dialogues savoureux, de réparties qui font mouche. Jeff Bridges cabotine comme jamais, les blagues sur son collègue d’origine amérindienne fleurant bon une ambiance que Lone Ranger et son compère Tonto ne démentiraient pas. 

David Mackenzie s’éclate à filmer les grands espaces américains qui l’ont fait fantasmer dans les années 1970. L’imagerie renvoie autant aux films de gangsters qu’aux westerns, ici sur le territoire qui les ont fait naître. L’Amérique profonde, le terreau, peu touristique, des villes fantômes, des personnages avec des vraies gueules. Filmé par une sensibilité très européenne, esthétisé mais toujours crédible, c’est la conquête de l’Ouest désenchantée, la preuve que les rêves ne survivent pas à l’épreuve du temps, que le fantasme se confronte mal à la réalité. Où l’observateur extérieur rappelle que la ruée vers l’or n’a pas rendu le pays plus prospère, que les combats contre les indigènes tenaient plus du génocide que d’une glorieuse bataille. Le message du film, très social, tient sans doute dans une réplique de Gil Birmingham : si les blancs ont dépossédé ses ancêtres de leurs terres millénaires, ce n’est que pour mieux se les faire reprendre par les banques, décrits comme les vrais bandits des temps modernes.

Boris_Biron
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le 13 sept. 2016

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Boris_Biron

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