Quelle fresque farfelue, c’est le mot. Librement basé sur l’œuvre de Robert E. Howard, qui sera d’ailleurs élargie par d’autres auteurs dans des veines fort distinctes, Conan le Barbare est un OVNI laissant songeur quant à ses véritables prétentions : de l’heroic fantasy pure et dure dans le texte au cœur d’un Âge Hyborien fantasmé, une consonance « dark » et philosophique via le ténébreux Thulsa Doom... ou encore un pastiche du film d’action musclé que portera sur ses larges épaules Schwarzenegger dans sa carrière future.

La présence de ce dernier est d’ailleurs symptomatique de ce que prodigue le métrage dans son ensemble, à savoir une variété de tons confinant au déroutant... et le plus souvent au sourire en coin. Sa nomination aux Razzie Awards, pour ce que ça vaut, est ainsi révélatrice d’un jeu laissant clairement à désirer tandis que, dans le même temps, sa face de benêt et ses accès de rires improbables confèrent à sa performance une empreinte bouffonne savoureuse. On ne s’étonne également pas de lire après coup que John Milius, à la réalisation, privilégia le jeu « nature » des rookies Sandahl Bergman et Gerry López à celui d’interprètes plus expérimentés.

Il règne donc une certaine forme d’amateurisme significatif, mais sans pour autant occulter tout le sérieux d’une atmosphère volage : il n’y a qu’à voir le carton introductif citant sans sourciller Friedrich Nietzsche (quelle typo’ hideuse cependant), la séquence thématique de l’Acier traitée « noblement » s’ensuivant puis le discours solennel d’un père à son fils... la tête dans les nuages, laissant par voie de fait sous-entendre que le propos transcendera le carcan mortel de la chair.

Là réside tout le paradoxe de Conan le Barbare, l’évolution et la personnalité simplistes de son protagoniste contrastant de mille feux avec l’envers mystique et éthéré du récit : la manière dont il acquiert sa fameuse musculature est par exemple traitée aussi factuellement que possible, l’ellipse temporelle parachevant le procédé tout en préfigurant de ses futures aventures... pour la plupart très peu consistantes. Un sentiment conforté par une empreinte formelle sans panache, quand elle n’est pas carrément dépassée, et la quête initiatique des plus classiques conduite par Conan ; à contrario, le récit s’autorise ci et là quelques excentricités bien senties précédant le retour de Thulsa Doom (lui qui rallumera une flamme vengeresse jusqu’alors éteinte).

Troquant son costume de seigneur de guerre dévoué à la cause de l’Acier pour celui de chef de secte, son allure et discours de prophète obscurantiste convient le spectateur par-delà l’apparence « bas du front » régissant en majorité le film. Non content de disposer qui plus est du chara-design le plus improbable du tout, au point d’ailleurs de déteindre sur ses deux sous-fifres (sacrées gueules), le rôle de James Earl Jones est ainsi une composante aussi fondamentale que saugrenue dans la signature unique de Conan le Barbare.

Oscillant entre action décousue, fantastique fauché et une propension comique que l’on jurerait involontaire (parfois tout du moins), le long-métrage doit surtout sa stature d’épopée épique au travail mémorable de Basil Poledouris, lui qui accouchera de nombreuses compositions cultes (découvrir l’origine de certaines d’entres elles fut en ce sens remarquable). Pour le reste, il est difficile de passer outre les excentricités d’un récit trop « généreux », qu’il s’agisse de la narration dispensable du sorcier ou encore la crucifixion de ce brave Conan... lui qui en verra des vertes et des pas mûres de bout en bout : quelle ténacité !

Bref, Conan le Barbare est un indispensable, n’ayons pas peur des mots : quoique capable du pire dans le meilleur, ses aspirations variées liant la puissance de son vigoureux poulain à un propos « métaphysique » en font un divertissement atypique au possible... chose permise par le véritable travail d’auteur de John Milius, lui qui en signera aussi le scénario (avec le concours d’Oliver Stone). Quel voyage dépaysant !

NiERONiMO
6
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le 19 juil. 2022

Critique lue 240 fois

4 j'aime

NiERONiMO

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