Un huis clos à ciel ouvert dont la finesse malmène l’intensité

Joachim Lafosse adapte CONTINUER le roman éponyme de Laurent Mauvignier. Une adaptation fine et épurée qui nous plonge dans l’introspection revêche des âmes blessées d’une mère et son fils en plein désert russe.


Il y a des lieux en dehors. Hors du temps, de la vie, hors de soi où en l’absence de tous repères, on n’a d’autres choix que de se retrouver face à soi-même et à l’autre. C’est l’expérience que propose Sybille à Samuel, un fils qu’elle ne supporte plus de voir gâcher sa vie par ses comportements violents.


Partir, voyager avec lui à dos de cheval dans le désert, comme une dernière chance de lui dire ce qu’elle a tu depuis toujours, de panser les blessures de leur relation – puisque réparer est impossible – et tenter de trouver l’essentiel.


C’est dans le grand désert de Russie que Joachim Lafosse plante son décor et offre au spectateur un véritable huis clos à ciel ouvert. Un périple magnifié à chaque instant par la grâce de ces deux cavaliers exilés filmés en plan large. Terre aride et desséchée par le soleil, la Russie prend alors des airs de Grand Ouest américain et l’on se laisse volontiers happer par la sobriété de la réalisation à la faveur de la puissance du panorama.


C’est beau, et le dépouillement est total puisque seuls quelques dialogues allant à l’essentiel viendront briser le silence empathique sublimé de bout en bout par le chant hypnotique du vent. Joachim Lafosse fait des éléments un personnage à part entière du film, si ce n’est le principal: temple d’une retraite émotionnelle, observateur du cheminement intérieur, un paysage qui nous perd et dans lequel on se retrouve.



Le potentiel lyrique pourtant réel des images ne suffit pas à imprimer
le spectateur d’une empathie suffisante pour totalement générer
l’émotion longuement recherchée. La limite de la pudeur se trouve ici,
lorsqu’elle mène le film à une forme de stérilité et de carence
dramaturgique.



Du silence donc, et des non-dits pour exprimer ce qui fait trop mal, cela semble être le grand questionnement du réalisateur. Déjà dans L’ECONOMIE DU COUPLE, Joachim Lafosse faisait répéter à ses personnages les mêmes élucubrations matérielles en boucle. On parlait d’argent pour parler de sentiments. Ici, dans cet autre forme de trauma familial – thème fil-rouge de sa filmographie -, la parole douloureuse est relayée méticuleusement dans le journal intime que tient Sybille.


Un journal intime qu’elle protège et dans lequel elle s’adresse directement à son fils dont on ignore s’il en lira un jour le contenu… Le secret familial, la tentative de libération et les ravages du silence entre les générations, voila ce que CONTINUER tente de nous faire éprouver. Y parvient-il totalement?


Virginie Efira en mère écorchée et courageuse et Kacey Mottet Klein en fils souffrant livrent des prestations impeccables en parvenant à maintenir sur leurs épaules toute l’intensité du film. En effet, le potentiel lyrique pourtant réel des images ne suffit pas à imprimer le spectateur d’une empathie suffisante pour totalement générer l’émotion longuement recherchée. La limite de la pudeur se trouve ici, lorsqu’elle mène le film à une forme de stérilité et de carence dramaturgique. On regrette le temps du magnifique et intense À PERDRE LA RAISON, où là encore Joachim Lafosse faisait l’analyse de la maladie familiale.


Il faudra attendre la dernière scène du film pour avoir en off les confidences de Sybille, ce qui permet enfin d’incarner l’1h24 venant de s’écouler. On pourrait s’en décevoir, pour autant c’est une autre évidence qui vient clore le film, celle qu’il faut du temps pour arriver à comprendre. Lafosse viendrait peut-être alors de mettre en abyme le cheminement intérieur qu’il met en scène…. CONTINUER, c’est apprendre à continuer de vivre. Aller à l’intérieur pour mieux voir le monde à la fin.


Sarah Benzazon


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/continuer-un-huis-clos-a-ciel-ouvert-dont-la-finesse-malmene-lintensite-critique-874335/

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le 27 janv. 2019

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