Dans Conversation secrète, Francis Ford Coppola donne à voir la quête d’Harry Caul, professionnel de l’écoute et de l’enregistrement, missionné pour filer un couple par un client très fortuné dont on ignore les intentions. Tandis qu’il passe en revue ses bandes, il se rend compte qu’un danger semble menacer le couple, et hésite à poursuivre sa mission.
Toute l’intelligence de ce film réside dans le questionnement perpétuel sur la stabilité des informations qui nous sont données. Plusieurs renversements s’opèrent, modifiant les rapports des personnages entre eux et la perception du spectateur, dont les attentes sont sans cesse détournées. Cela est permis d’une part par une transmission incomplète des renseignements : nous sommes placés au même niveau de connaissance que Harry (Gene Hackman) puisque nous découvrons tout d’abord les éléments de l’intrigue à l’écoute des bandes, comme lui – ce qui peut s’apparenter par moments à l’enquête menée dans Blow out de Brian De Palma, sorti quelques années plus tard. On traque le moindre détail, à la recherche de la pièce manquante du puzzle, pour que tout s’emboîte et que l’image se complète. D’autre part, le jeu sur les apparences (sonores qui plus est) remet sans cesse en question ce que l’on croyait acquis : qui espionne qui ? Qui est réellement en danger ? Autant de questions qui ne trouveront des réponses qu’à la fin du film.
Ce n’est cependant pas tant le suspens qui m’a interpellée – d’ailleurs il ne m’a pas paru si intense que ça. Mais c’est la dérive de cet homme isolé, qui a pour unique compagnie ses enregistrements ; comme le spectre d’une vie sociale à laquelle il ne prend pas part. Qu’il passe en boucle pour éviter le silence. Dans la réalisation, cette solitude est très appuyée ; Harry seul dans son appartement vide, seul dans son atelier immense, seul à l’hôtel. On ne lui parle que très peu, ou alors de son travail, et c’est d’ailleurs le seul propos qui l’intéresse et le fait intervenir dans les discussions auxquelles il ne participe pas sinon. Le seul moment où il se livre un peu plus personnellement, intimement, en évoquant ses sentiments à une femme, est dévoilé aux yeux curieux des autres (et surtout à leurs oreilles indiscrètes) par un micro l’enregistrant. Il y a donc un équilibre malin entre l’isolement social de Harry et son impossibilité de préserver sa vie privée. D’ailleurs, dès le générique, le ton est donné : c’est un film ''d’espionnage", où l’on traque les individus et s’introduit sans préavis dans leur vie personnelle.
Pour revenir sur la solitude du personnage, je crois qu’elle est ce qui m’a le plus touchée, car amenée de façon habile et contrebalançant la déshumanisation produite par l’omniprésence de la surveillance. Une solitude si forte qu’elle le ronge et le fait glisser dans la folie, jusqu’à l’effarante dernière séquence.