Avec le rachat du FC Sochaux en mai 2015, Ledus enterre un peu plus un modèle économique (et social) pourtant de mise dans le football français, celui de l’entreprise (familiale) comme principale pourvoyeuse d’emploi, véritable pilier économique et donc social via le club de foot qu’elle régit. A ce titre, Coup de Tête serait presque à ranger dans l’analyse plus que dans la comédie satirique. Et de constater avec élégie, que 37 ans après sa sortie, les "fondamentaux" liés au football subsistent : acoquinement vis-à-vis de l'équipe Cendrillon, remugle certain par rapport à la "Dame" Coupe de France (pour certains Carquefou, d’autres Calais, Gueugnon).


Il y a dans Coup de Tête, cette prophétie (auto-réalisatrice) qui finira par séparer les footeux des autres : soit cette place chronophage, rampante quasi-irrationnelle que va prendre un simple match de football. Beaucoup évoqueront la catharsis, le caractère exutoire, l’évasion liée à un tel évènement. D’autres y dénonceront une pure perte de temps, des valeurs, de la société. Au carrefour de la dérégulation économique de ce sport, de sa professionnalisation et donc des spéculations et autres disjonctions, le film s’attarde sur l’épopée du Petit Poucet Trincamp (qui ne rime pas qu’avec Guingamp).


Le contre-pied du film réside dans sa manière de parler du football sans pour autant le filmer. Alors oui Guy Roux a entraîné Patrick Dewaere, oui les rares scènes de football sont plus que dispensables…néanmoins, en s’attardant sur l’impact d’un huitième de finale de Coupe de France pour un petit village rural français, la caméra de Jean-Jacques Annaud décèle les premiers effets (pervers) du football non pas en tant que sport mais comme miroir déformant, grossissant et caricatural d’une commune. On pourrait croire à une mise en perspective manichéenne et simpliste des personnages-clé à Trincamp. Pourtant, il n’est pas rare de constater comment sport (et football en particulier) et vie politique municipale peuvent marcher main dans la main (coucou José Cobos, la famille Cantona, Ludovic Giuly…). Aussi, le film met bien en exergue la transformation quant à la considération des joueurs. Non plus considéré comme un ensemble de joueurs mais comme un individu faisant partie/s’inscrivant dans un collectif, Coup de Tête annonce l’avènement du joueur-star. Celui à qui on cède, celui à qui on promet pour s’assurer une victoire, celui que l’on protège pour ne pas compromettre les chances de victoire…Chaillotine agit ici non pas comme une entreprise mais comme un mécène aveugle et à la gestion patriarcale.


La force du film se concentre dans ce constat. En dépit d’une proximité (géographique, d’accès aux joueurs/vestiaire), un fossé se creuse entre cette tolérance, cette absence de rudoiement, cette permissivité accordées aux joueurs et donc les habitants qu’ils sont censés "représenter" l’espace de 90 minutes. Cette connivence s’accentue par la surenchère opérée par les habitants de Trincamp (cf la scène magistrale à la mi-temps du match). Coup de Tête pose ici les bases des principes qui régiront le football : des hommes comme les autres en apparence mais pas trop quand même. Au-delà des privilèges, des facilités, cette pression (résultat, rendement, économique, médiatique) conduira progressivement à constater que les joueurs d’un club de football ne réside plus dans la ville qu’ils sont censés défendre (voire ne la voit qu’épisodiquement !).


Le personnage de Patrick Dewaere s’inscrit parfaitement dans cette schizophrénie lancinante du football : attaquant réserviste/ouvrier puis mise au ban pour excès d’engagement, le voilà propulsé en équipe première malgré une peine de prison à purger. Citoyen exemplaire, exempté, déboussolé ? Le film sous-tend des problématiques qui rythment les victoires mais aussi les défaites d’une équipe de football. Exit la posture superflu d’éthique, l’insinuation est ici plus subtile, de l’ordre de l’absurde, du cocasse voire de la caricature…un peu comme les (tentatives d’) entrechats de Patrick Dewaere sur ce terrain bosselé d’entraînement.

RaZom
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le 21 oct. 2016

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