Cette critique ne parle pas de Kate Winslet

Nouvelle-Zélande, 1953. L'amitié grandissante de deux jeunes filles inquiète leurs parents à mesure qu'elles s'enferment dans leur univers de fiction et que semble naître une romance lesbienne. Les deux adolescentes n'accepteront pas leur séparation forcée… Ce pitch se base sur un fait divers survenu il y a de cela 60 ans. Dès lors, difficile de ne pas y voir des passerelles avec « Mais ne nous délivrez pas du mal » de Joël Séria, lui-même issu de cette affaire (quoique ce dernier ne cherche pas à retranscrire fidèlement le fait divers, l'adaptant notamment au contexte français). Grand amateur de ce film, ce n'était pas pour me déplaire.

J'ai toujours trouvé intéressante cette idée de monde fantaisiste ou d'ami imaginaire. Le cinéma me semble de plus un média particulièrement adapté pour témoigner de ce décalage avec la réalité. « Heavenly Creatures » porte donc sur cette confrontation entre la réalité et la fiction, entre la raison et l'imagination. Les images poétiques (très réussies, souvent originales) du monde enchanteur que les deux filles se construisent se heurtent au poids des différentes institutions qui contrôlent la vie de tout adolescent (famille, école, etc.) et qui nous paraissent, puisque l'on suit le point de vue des filles, bien tristes. La scène du début, qui nous introduit aux deux personnages principaux, en est une illustration très nette puisqu'elle met en parallèle deux scènes où l'on voit les filles courir : la réalité, très sombre (elles sont recouvertes de sang et crient comme si le diable est à la trousse) et la fiction, plus belle et légère (faite de grands sourire et accompagnée d'une douce musique).
Ce plaidoyer pour un monde plus imaginatif me rappelle le combat écologiste et notamment cette citation d'une poétesse québécoise, Huguette Gaulin : « Vous avez détruit la beauté du monde ! », expression qu'elle a exclamé avant de s'immoler publiquement par le feu. Cette beauté disparue, ne reste plus qu'une réalité morne et désenchantée, dominée par la raison.

Le traitement de la sexualité est l'autre grand aspect central du film. Là encore, nous nous confrontons à l'absence d'imagination d'une société qui ne trouve d'autre réaction face à cette jeune romance lesbienne que l'intolérance. Peter Jackson nous montre d'abord le tabou de l'homosexualité (avec de longs échanges entre parents sur le sujet sans que jamais ne soit mentionné le terme) et rappelle ensuite qu'il s'agissait alors d'une maladie, d'une « phase » qu'il fallait corriger avant qu'il ne soit trop tard.

La fin en elle-même n'est pas forcément ce qui ressort le plus du film, la brutalité qu'elle manifeste est toutefois intéressante. Le but de P. Jackson était à mon avis d'en faire le point culminant d'une double progression, chacune s'opposant à l'autre : l'enfermement croissant des filles dans leur monde fantaisiste (donc une dimension psychologique) et la coercition de plus en plus forte à leur encontre (ici une dimension plus sociologique) qui se concluent finalement avec un drame.
Le choix de prendre pour point de vue celui des filles ainsi que le recul historique que nous avons avec ce fait divers – notamment sur cette question de l'homosexualité –, permet ainsi au film d'éviter une diabolisation (entendre : éviter l'écueil dans lequel fonce allègrement la presse) qui se contenterait d'une simple explication sur la folie de deux illuminées.
Hugo_Grellié
8
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le 5 nov. 2014

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Hugo Grellié

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