Après un détour en France avec le fantomatique Le Secret de la chambre noire, réalisé après mais sorti avant ce Creepy dans les salles françaises, nous retrouvons donc Kiyoshi Kurosawa rapatrié dans son Japon natal. Une nouvelle réalisation qui semblait reprendre, sur le papier, des éléments de ses films les plus célèbres, comme un retour aux sources : Teruyuki Kagawa, déjà tête d’affiche dans Serpent’s Path et Tokyo Sonata, mais aussi les serial-killers de Cure et le flic traumatisé de Charisma. Metteur en scène de l’obsession par définition, Kurosawa ne déterrerait-il pas enfin ses vieux démons ?


Il y a, dans le cinéma de Kiyoshi Kurosawa, une fascination quasi-maladive pour le vampirisme d’un urbanisme chirurgical : ces bâtiments de la reconstruction, ces rues trop propres et ces voisinages froids qui s’ignorent ; ces éléments du décor deviennent les héros d’un récit autrement assez classique. Le malaise naît dans un premier temps des codes sociaux de cette société technocratique, où les rapports humains n’existent que dans le protocole : la crainte vient de la rupture, de l’étrangeté. Autant dans sa direction d’acteurs, que dans l’écriture, le cadrage et le montage, le film de Kurosawa joue de ces dissidences : l’angle d’une maison par rapport à une autre, une grille fermée ou une poignée de porte sont les vrais monstres de ce polar d’épouvante aussi maîtrisé que terrifiant.
On perd alors tout contrôle quand les briques partent en fumée : Creepy est autant un film d’angoisse qu’un conte sociologique, cathédrale de mise en scène qui décompose et recompose (avec une aisance proche du tour de force) les codes et les idéologies habituelles du cinéma de genre. Kurosawa, en vidéaste devenu cinéaste, fait preuve d’un rare sang-froid créatif et ne s’interdit pas de lorgner près du V-Cinema de série B, comme à son habitude, tant en terme de détours scénaristiques que d’ingéniosité de forme : comme dans L’Exorciste, The Thing ou le plus récent The Strangers, chez Kurosawa le Mal n’a pas de visage – ou en tout cas pas un visage fixe. Il peut surgir de toute part, de n’importe quel recoin de ce cadre à la profondeur de champ d’une netteté si large qu’elle en devient effrayante. Dans Creepy, on voit peu car on ne sait pas où chercher, tout en craignant de tout voir car on a peur de trouver.


Kiyoshi Kurosawa est de retour à son meilleur niveau avec un thriller angoissant à la dimension politique passionnante : une relecture moderne de Dracula d’une maîtrise formelle incroyable, qui parvient à faire, sur la base d’une intrigue peu originale, un film de genre pervers et cruel, profondément amer et désenchanté, qui s’interroge et nous interroge sur les démons de la société nippone. La voilà, la grande obsession de Kurosawa.

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le 18 juil. 2017

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Vivienn

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