La critique ne révèle pas de grands twist mais elle parle beaucoup de ses messages, de son personnage principal, de ce qu'il peut ou ne peut pas accomplir et de comment il évolue, ce qui pourrait constituer un spoiler pour certains.


Quand on pense aux bons vieux Disney, on pense à leurs méchants extrêmement réussis. Vouloir capitaliser sur eux pour faire revivre des licences sans faire de remakes faciles paraît donc être un bonne solution marketing pour rassurer le chaland. En plus les grands studios aiment bien se présenter comme subversifs : "Vous en avez marres des gentils tout neuneus ? Cette fois vous suivez des méchants parce que c'est bon d'être mauvais !" "Notre Deadpool va donner un coup de pied aux fesses de Marvel !". "Notre personnage est trop une révolutionnaire, on a écrit le nom d'Emma Stone avec le signe des anarchistes parce qu'on est des rebelles". On a pourtant eu du bon avec Joker qui sondait la société et ses laissés-pour-compte, et Maléfique avait le mérite d'offrir une réinterprétation de la Belle aux Bois Dormant qui collait avec le changement de perception du mythe de la Sorcière, passée de la vilaine à la femme puissante pourchassée par une foule misogyne. Deux films qui ont donc saisi un changement dans le zeitgeist et en ont profité pour réactualiser des personnages aux contours assez flous pour qu'on y glisse la mythologie qu'on souhaite. Ce qui n'est pas le cas de Cruella, qui va rester sur l'argument des méchants qui font vendre.


Cruella est le nom que donne l'héroïne Estella a sa part la plus sombre qu'elle refoule pour être plus sociable. Vivant dans la rue par de menus larcins, elle se passionne pour la mode et va concurrencer la Baronne dans ce domaine, souhaitant mettre à bas cette harpie qui cumule tous les clichés avec toutefois le jeu délectable d'Emma Thompson. Certains critiques évoquent la référence évidente du Diable s'habille en Prada, on peut aussi ajouter la Catwoman de Tim Burton pour l'usage de la dichotomie "timide à lunettes/puissante peau de vache", le tout avec quelques séquences évoquant le film de cambriolage (bien peu crédibles).


Cruella n'est pas une réinterprétation du personnage des 101 Dalmatiens dans le sens où l'on ne nous en fait pas découvrir une face cachée, car il ne s'agit plus du tout ni du même personnage, ni de la même histoire qui serait vue sous un autre angle ou modernisée. Les seuls rapports que le film entretient avec le récit original relèvent de la pure référence, avec des dalmatiens qui s'invitent à la fête mais qui laissent Cruella bien indifférente (on a eu peur quand le film a fait mine de donner une raison à sa haine des dalmatiens, mais ce n'est finalement qu'un clin d’œil inutile glissé avec inconscience au pire moment). Ce qui reste du personnage c'est son lien avec la mode, sa coupe de cheveux (oui elle est née avec cette bichromie, oui c'est bête comme idée) et son envie de conquête, ainsi qu'une scène à mi-chemin du générique de fin insérée au forceps. Autant dire que cela aurait plutôt dû donner un film qui ne soit pas lié à la licence pour éviter les confusions, je me suis demandé si c'est Disney qui a pris un script original et en a fait une variante des 101 Dalmatiens pour éviter les déroutes de ses derniers films originaux, comme Nintendo qui insère ses personnages dans des projets qui n'ont rien à voir pour qu'ils se vendent mieux, ou si c'est vraiment le résultat d'un compromis pour faire un film sur une méchante sans se retrouver à soutenir des actes inqualifiables.


Car telle Suicide Squad la méchanceté survendue de son personnage ne se remarque pas, ce qui oblige Emma Stone à nous le répéter plusieurs fois en prenant l'air de se régaler pour nous en convaincre. Eh oui, comme DC, Disney n'assume pas de nous faire suivre une pourriture qui génèrerait la subversion que l'entreprise nous vend pourtant, il faut que ce soit dans le fond une héroïne. La cible de ses attaques est une autre méchante ce qui rend son agressivité acceptable, et elle n'est plus une tueuse de chiens malgré quelques coups de pression peu convaincants. Cependant elle se comporte mal avec ses potes et c'est un élément pas sympa de sa part qui est bien relevé. Elle affirme que c'est indissociable de sa personnalité alternative Cruella et qu'elle a besoin d'être insupportable avec les autres pour faire du bon travail, ce qui est de la grosse connerie que nous vendent les journalistes et artistes pour tenter de justifier les mauvais comportements de leurs idoles sans les remettre en question. Je me demandais ce qu'allait en faire le film puisqu'il expose la question explicitement, et finalement rien : c'est complètement mis sous le tapis. Après Star Wars IX Disney nous rappelle que ce sont de gros lâches, et ils nous laissent donc avec l'impression que le seul élément réellement reprochable à son personnage serait tolérable parce que eh, si ça fait partie intégrante de sa personnalité alors on n'aurait pas le droit de réclamer d'elle un peu de respect. Catwoman c'était pas ça les gens, vous arrivez à utiliser une méchante pour lui enlever tout ce qui pourrait générer un malaise lié à son point de vue malsain mais en glamourisant quand même son absence de considération pour autrui, vous avez faux sur tout.


Pour le reste c'est un travail technique de bonne qualité : la photo a un peu de charme, il y a de grands travelling à la Scorsese qui nous font découvrir les coulisses d'un magasin, Emma Stone s'amuse beaucoup et il y a de la recherche dans les mises en scène de ses confrontations de mode avec la Baronne. Cela n'empêche pas quelques fautes de goût, comme certains personnages très caricaturaux ou des tours un peu ridicules de Cruella. L'usage façon jukebox sans harmonie d'innombrables musiques déjà sur-utilisées dans des publicités ou des bandes annonce devient bien lourd à force, donnant l'impression d'être piégé dans une vision de la révolution punk par une pub pour parfum mais sans la satire du milieu. Il y a un côté fabrique à rêves qui pourrait justifier que la mise en scène joue la carte de l'émerveillement, comme pour tout univers artistique, mais l'usage est bourratif à la longue et le film ne raconte rien au sujet de la mode en particulier ou de l'art en général. L'histoire se borne à l'affrontement entre deux femmes pour des raisons très personnelles mais ne détaille pas du tout le milieu ou ce qui fait que l'une aura plus de succès que l'autre. Tout au plus aura-t-on des scènes de films de gangsters pour évoquer la compétitivité féroce mais ça ne va pas bien loin. Pire, certains rebondissements scénaristiques évoquent les pires clichés et rendent le propos global bien nul (un indice sans spoiler : l'origine du "génie" de Cruella est déprimante).


Comme on peut s'y attendre avec une compagnie aussi riche que Disney, Cruella n'est pas un film mal fait ou mal soigné. En revanche c'est un film que je trouve détestable par ce qu'il raconte, par son scénario qui multiplie les idées périmées et par son besoin de se faire passer comme un forceur pour plus cool qu'il ne l'est, comme un repompe lisse du personnage de Catwoman qui n'en garde que le superficiel et l'épate. C'est un film qui n'a pas de couilles et qui offre un mauvais modèle pour plein de choses. Tout ce qui pourra le rendre populaire sera son éventuelle qualité de divertissement, car effectivement il se déroule plein d'événements avec beaucoup d'entrain, de costumes, de petites piques faisant référence à l'autre Cruella du dessin animé, tout ce qui permet de ne pas s'ennuyer sans pour autant s'en souvenir bien longtemps. Mais ne pas m'ennuyer ne suffit pas, et là même si je discerne ça et là de petites trouvailles j'ai quand trouvé ça bien peu intéressant et plus antipathique que son anti-antihéroïne.

thetchaff
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le 27 juin 2021

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