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Une scène est tout à fait symptomatique de ce film, celle où le groupe arrive dans la jungle en bateau sur La Chevauchée des Walkyries. Il y a une volonté évidente de se réapproprier le mythe cinématographique de la guerre du Vietnam, de le refaire à la sauce Spike Lee. Malheureusement, cette scène est d'une telle impuissance, la faute revenant à une mise en scène apathique, que ça en devient juste insignifiant. Et tout le film est ainsi, mou, sans idées. Par ailleurs, Apocalypse Now est déjà cité explicitement dès la première demi-heure où l'on voit le titre du film illuminé à une soirée. Enfin, dans Da 5 Bloods il est également question d'une sorte de quête, à savoir celle d'aller plonger dans le fond de la jungle vietnamienne pour retrouver un homme, certes décédé ici, mais quand même, il s'agit d'une personne présentée comme charismatique, comme une sorte de guide. Franchement, ça fait longtemps que je n'ai pas revu Apocalypse Now, mais quand même. Est-ce que Da 5 Bloods réussie à se réapproprier le mythe d'Apocalypse Now ? Je ne crois pas. Il nous fait ressentir ni l'omniprésence de ce frère mort pendant la guerre, ni l'horreur de la guerre (les combats sont filmés sans grande conviction, l'action est gore avec beaucoup de sang et peu d'éthique).


Puis il y a cette narration éclatée, ces sous-intrigues un peu inutiles qui essayent d'imbriquer la petite histoire dans la grande, mais ça ne fonctionne pas plus que ça, on s'y perd et l'émotion avec. On sent également beaucoup le manque de budget, mais là où la créativité et l'originalité pourraient compenser, il n'en est rien.


Pour servir de béquille à cette mise en scène anodine, il y a la musique, anodine elle aussi et pourtant constante. Il y a également la photographie avec ses couleurs plutôt vives, et cette lumière tout aussi banale que le reste. Les transitions vers les flashbacks sont presque vulgaires (on change de format pour passer vers le carré), heureusement que le grain de l'image signifiant ce retour dans le passé est esthétiquement intéressant (et il faut le dire vite).
Par ailleurs, ce passage vers un autre format n'est pas instantané, il est volontairement montré. Ce choix s'accompagne par d'autres choix allant dans le même sens : les photos de gens évoqués dans les dialogues sont montrées directement sur un fond noir, on brise le quatrième mur afin de mettre le nez du spectateur devant la véritable histoire des afro-américains durant cette guerre. Alors, Spike Lee name drop, il faut absolument parler de CE héros de guerre afro-américain oublié, alors allons-y, mettons sa photo. Sauf que, évidemment, ça sort du film, on sent le discours militant attendu au tournant, c'est factice. Le discours devient intéressant et subversif (ce qui est bien trop rare dans ce film) lors de la scène où les Vietnamiens communistes font de la propagande à la radio pour faire comprendre que les afro-américains sont envoyés à la guerre comme de la chair à canon.


Ce discours qui d'ailleurs se moque de son personnage noir qui dit fièrement voter Trump est tellement facile. Loin de moi l'idée de défendre Trump, mais si les afro-américains ne votent pas pour lui (et c'est bel et bien le cas à environ 80-90% je crois), ils votent bien pour les démocrates, non ? Sauf que les démocrates, et presque d'avantage que les républicains, mènent une politique économique qui écrase ces mêmes afro-américains déjà très précaires. Les démocrates alors plient le genou, se repentent de crimes horribles qu'ils n'ont pas commis (l'esclavage), et finissent par laisser les afro-américains se tuer entre eux dans des quartiers extrêmement pauvres car ils s'en foutent. Racheter sa conscience de bourgeois pour pas cher. Alors je suis désolé de parler politique ici, mais le film y invite évidemment (suffit de voir la toute fin qui montre le mouvement Black Lives Matter de nos jours), sauf que ce dernier n'a en lui aucune puissance car il n'est (quasiment) en rien subversif, il ne fera bouger aucune ligne.


Ce manque d'idées et de créativité dans la mise en scène impacte également le plaidoyer du film qui, de fait, retombe comme un soufflé car l'émotion n'y est pas. Et puis, bien sûr, qui dit 2020 et Netflix dit film très long. Mettons un stop à cette tendance des films de 2h30, car dans une période difficile en terme de qualité concernant le cinéma américain, il vaut mieux avoir des films ratés mais courts que des films longs ET ratés.

Seingalt
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le 12 juin 2020

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Seingalt

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