Il y a quelques jours, j'ai revu "Les apprentis". Ma chronique s'était surtout attachée à décrire (ou du moins à tenter de décrire) cet état d'esprit dans lequel Pierre Salvadori semble lire les aléas de l'existence, une profession de foi positive, comme pour exorciser le mal-être, les angoisses ou carrément la dépression, rendant cette dernière naturelle, presque légère, mais jamais anecdotique. En effet, son cinéma me parait animé et aérien.

Or, précisément, il m'a semblé que "Dans la cour", sort pour la première fois de ce sentier battu. Il est vrai que je n'ai pas vu tous les films de Salvadori, ce qui affaiblit fortement mon "argument". M'enfin, c'est un sentiment personnel, avec tout ce que cela signifie de bancal. J'ai donc l'impression que ce film- là est un peu plus inerte, plus grave que les autres Salvadori.

Quelques scènes, quelques gags de rupture agrémentent un récit qui voudrait se sortir d'un mauvais pas, mais n'y arrive qu'au terme d'une tragédie. Oui, pour la première fois, la tragédie touche un personnage. Jusque là rampante, potentielle, elle est bel et bien là maintenant.

Cependant, le film ne vient pas contre-dire façon fondamentale les films précédents. Peut-être n'est-il qu'une parenthèse dans la filmo du cinéaste ou bien traduit-il un tournant? Lassitude de tirer le même fil? Evolution logique de la problématique dépressive? On verra avec les films futurs. Quoiqu'il en soit, ce film se termine sur une conclusion mi-figue, mi-raisin, entre deux eaux, entre sourires et larmes, chaleur et désespoir.

Il y a toutefois de nombreux points qui ne laissent aucun doute sur une franche continuité dans le cinéma de Salvadori. D'abord cette tendresse pour toutes les formes de marginalités qui libèrent l'invention, la capacité d'adaptation, la tolérance des individus, leur solidarité malgré tout. Ensuite, cet amour des dialogues et des situations fausses ou du moins particulièrement acrobatiques, au bord du pathétique. Et bien sûr cette zone très floue entre malaise et folie. Qui est dépressif? Qui est fou? Difficile de répondre : ils sont une belle brochette à danser sur une même corde raide, balançant plus ou moins vers le vide. Entre un sans logis roumain, un voleur de bicyclettes, un concierge toxico et une retraitée obsessionnelle, la frontière entre faiblesse passagère et pathologie indépassable est ténue.

Les comédiens sont parfois très bons. Que Catherine Deneuve soit aussi facile ne constitue pas une surprise. Cela ne devrait pas en tout cas. Tout de même il est plutôt rare de la voir jouer un personnage aussi fragilisé. Épatante, elle forme avec Gustave de Kervern un joli et improbable couple de naufragés, à la dérive parallèle.

C'est une belle histoire somme toute, un peu triste, un peu inquiétante, parfois très drôle (n'oublions pas qu'il s'agit d'un Salvadori, j'ai éclaté de rire à plusieurs reprises), attentive et tendre pour ses personnages, comme d'habitude profondément humaine, à l'humanité tour à tour sombre et lumineuse, compliquée, tangible.
Alligator
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le 7 juin 2014

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