Noriko (Haru Kuroki) vient de terminer ses études. Pas encore fixée sur son avenir, la jeune femme hésite et évoque le sujet devant ses parents, en présence de sa cousine Michiko (Mikako Tabe), tout aussi hésitante. Des hésitations qui ne sont pas du goût du père de Noriko qui les incite vivement à prendre des cours auprès d’un maître de thé. C’est ainsi que Noriko et Michiko entrent en contact avec une femme, Maître Takeda (Kirin Kiki), qui va les initier dans la voie du thé. Il faut bien avoir en tête que l’art de préparer et servir le thé est une tradition ancestrale au Japon (depuis le XVè siècle). Pour apprécier pleinement ce qui se passe, essentiellement entre Maître Takeda et Noriko, je recommande vivement une lecture : Le livre du thé de Okakura Kakuzô.


Pour notre plus grand bonheur, parce que c’est de loin le plus intéressant ici, l’essentiel du film se passe dans la petite maison de Yokohama où Maître Takeda reçoit ses élèves. On sourit régulièrement aux remarques du professeur à son élève qui vient tous les samedis. Si Noriko vient d’abord suivant le vœu de son père (soutenu par la mère), elle devient vite une assidue. Cette initiation à la cérémonie du thé est, il faut le dire, l’affaire d’une vie. Maître Takeda n’en finit jamais de distribuer des indications. Au fil des saisons et des années, Maître Takeda reçoit quantité d’élèves, des femmes uniquement !


Autant dire que si le film constitue une approche de qualité de la cérémonie du thé, il néglige un certain nombre de points fondamentaux. Ainsi, rien n’est dit sur comment la chambre de thé doit être organisée, ce qui n’empêche pas un travail de qualité sur son organisation et son arrangement (nombre de détails font partie des sous-entendus qu’on apprécie pendant ou bien après la projection, selon ses connaissances). Tout se passe sur un tatami, ce qui permet à Tatsushi Omori de situer son film dans la grande tradition du cinéma japonais (Yasujiro Ozu notamment). De plus, l’intérieur et les objets utilisés présentent une harmonie qui fait plaisir à l’œil. Par une large baie vitrée (avec carreaux à croisillons traditionnels), la pièce donne sur un jardin (qu’on voudrait éternel), qui apporte de la luminosité ainsi que de belles couleurs qui varient au gré des saisons (un moyen de faire sentir le temps qui passe). Maître Takeda fait donc partie de cette catégorie de japonais(es) qui font vivre les traditions. On remarque que Noriko et Michiko s’intègrent à cette ambiance, tout en redevenant des jeunes filles modernes, expansives et dynamiques quand elles s’offrent une séance de karaoké pour se défouler et même quand elles vont à la plage. Outre ces quelques scènes, ce qu’on aperçoit du Japon d’aujourd’hui, ce sont surtout des intérieurs et les trains.


Les scènes chez Maître Takeda s’attachent essentiellement à la préparation du thé, aspect sans doute le plus cinématographique de la cérémonie, avec le maniement des ustensiles, les diverses positions à adopter successivement. Par contre, rien n’est dit quant au choix du thé (du thé vert apparemment), ni quant à ses divers modes de préparation possibles. Le film s’attache à montrer (et c’est déjà très bien), que la préparation du thé peut être considérée comme un art, en ce sens que de nombreuses conditions doivent se combiner harmonieusement. On remarque que tous les sens sont mis à contribution. Parmi mes observations : le pliage de la serviette avec notamment cette façon de la faire claquer pour se débarrasser de toute trace de poussière et le soin infini apporté aux gestes qui permettent le maniement de l’espèce de louche utilisée pour transvaser l’eau chaude, puis de reposer ensuite l’instrument suivant un délicat équilibre.


Sur la philosophie exprimée par la voie du thé, pour Maître Takeda il s’agit d’une recherche de la perfection, que ce soit dans l’attitude, le choix des ustensiles et leur maniement. Le film évite heureusement une énumération fastidieuse de trop de points. On comprend que le but n’est pas la contrainte mais la maîtrise de chaque geste. Et si chaque détail a son importance, c’est toujours pour des raisons bien précises. Comme pour les sportifs ou les artistes, la technique s’acquiert par la répétition, jusqu’au moment où les gestes deviennent naturels et qu’on ne réfléchit plus au moment de les accomplir.


Bien entendu, puisqu’il est centré sur la cérémonie du thé, le film adopte un rythme lent et contemplatif qui permet de faire pas mal d’observations intéressantes. L’aspect esthétique, très soigné, donne d’excellentes impressions. La chambre de thé est décorée comme il convient, de manière dépouillée, avec des couleurs qui visent l’harmonie et l’unité. Aucun tape-à-l’œil, le but est bien de placer les esprits dans une ambiance apaisante, propre à la concentration et à la dégustation en toute sérénité. Les tenues sont au diapason et l’ambiance feutrée, sauf quand Maître Takeda doit installer trop de femmes par rapport aux dimensions de sa salle.


Par contre, le film ne fait pas trop sentir comment les participantes doivent être accueillies avant d’entrer dans la chambre de thé. Et le kakemono que Noriko et Michiko observent laisse le spectateur occidental sur sa faim. En effet, Noriko annonce comme signification « Chaque jour est un bon jour » que Michiko dit comprendre parfaitement, sous-entendant qu’elle s’interroge sur un sens plus profond auquel nous n’aurons pas droit. Puisqu’il s’agit d’une calligraphie, on imagine que le style même du dessin évoque autre chose ou une autre façon plus subtile de l’exprimer. En effet, les caractères japonais peuvent exprimer plusieurs significations simultanées qu’on peut interpréter en fonction du contexte. Dans le film, la phrase prendra davantage de signification aux yeux de Noriko suite à un événement familial qu’elle aura du mal à surmonter. Ceci dit, la personnalité de Noriko reste trop vague. En effet, le film court sur bien plus qu’une décennie et on ne sait pas grand-chose de sa vie personnelle, à part son implication de plus en plus grande dans la voie du thé. Pour quelle(s) raison(s) ne suit-elle pas les traces de sa cousine Michiko ?


Malgré son rythme lent, le film passionnera celles et ceux qui s’intéressent à tout ce qui fait le charme du Japon. Un film d’autant plus émouvant qu’il sera le dernier de Kirin Kiki (vue "chez" Hirokazu Kore-eda et Naomi Kawase), décédée le 15 septembre 2018.

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le 3 juil. 2019

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