Charles De Gaulle a fait de gros câlins à Yvonne, et bien plus encore. Cela vous étonne ? Pourtant des enfants leur sont venus. En tout cas le film démarre par un grand câlin entre eux, furtif certes, et en plan très serré, pour qu'on devine, mais sans que quiconque n'y trouve à redire. Les enfants et les quelques gaullistes historiques qui restent ne sont pas encore couchés, encore moins ceux qui se réclament de l'héritage et qui sont d'une susceptibilité que même le général n'avait pas.


Il va de soi que l'idée de railler le grand homme est loin de moi, simplement en quelques plans rapides, il est suggéré que le général n'était pas un demi-dieu asexué, comme certains de ses thuriféraires aimeraient le laisser entendre. Charles De Gaulle était marié avec Yvonne Vendroux et ils ont eu trois enfants, dont Anne, qui est née handicapée et qui est décédée à l'âge de vingt ans, quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale.


Le film de Gabriel Le Bomin couvre une période courte, qui va de la veille de la défaite de 1940 aux lendemains de l'appel du 18 juin par lequel De Gaulle exhorte les français à entrer en résistance. C'est donc une période de presque deux mois que couvre le film. Il retrace les évènements qui se sont succédés à grande vitesse, entre débâcle, tractations diverses avec Winston Churchill, démission du président du conseil Paul Reynaud et accès au pouvoir de celui qui parle « de faire don de sa personne » à la France, mais qui dès octobre officialise la collaboration avec l'Allemagne nazie.
Le film n'est pas sans intérêt, parce qu'il se concentre sur une période courte, intense, de moins en moins connue aujourd'hui. Il met en lumière les dernières heures de la III ème République et les prémisses de l'instauration du régime de Vichy. Le pouvoir politique civil s'est effondré et le pouvoir est confisqué par une petite caste composée de transfuges de la Cagoule, des groupements de la droite-extrême et de différentes personnalités de la droite la plus conservatrice.


Il montre (trop rapidement) un pouvoir civil pusillanime incarné par Paul Raynaud et un Etat-Major arcbouté sur des tactiques militaires d'un autre temps, qui refuse de se reconnaître la moindre responsabilité dans la défaite. En filigrane, apparaît un Pétain (trop peu et pas assez explicitement) impérial et suffisant, qui considère que Verdun est son heure de gloire et que le moment est venu de récolter d'autres lauriers que son bâton de maréchal.


A bien des égards, Philippe Pétain fait penser à Francisco Franco derrière qui s'abritaient les mêmes personnages dangereux. En France comme en Espagne, le prestige d'un soldat a servi de paravent pour mieux dissimuler les agissements et les intentions réelles d'hommes qui pactisaient déjà avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. Le maréchal Pétain a longuement côtoyé Franco lors de la guerre du Rif pendant les années 20. C'est à la demande de Pétain que le ministre de la guerre André Maginot a honoré Franco en le nommant commandeur de la Légion d'Honneur et en l'invitant à visiter l'école militaire de Saint Cyr en 1930. Philippe Pétain a été le premier ambassadeur de France auprès de l'Espagne tombée aux mains de la sédition franquiste.


Dans un film sur Charles De Gaulle, même restreint à une période précise, cette connivence entre Pétain et ceux qui sont les porteurs d'un nationalisme exacerbé, d'un anticommunisme virulent et d'un antisémitisme meurtrier, devait être davantage mise en exergue. Cette complicité donne sens et portée aux choix de Charles de Gaulle et de tous ceux qui ont fait la Résistance.


Le scénario écrit par Gabriel Le Bomin souffre de déséquilibres qui font passer le film à côté de l'essentiel, particulièrement à un moment ou les mémoires semblent vaciller dangereusement. J'imagine un instant Marcel Bluwal à la manœuvre. Je le vois assis dans son lit des nuits entières, ne trouvant pas le sommeil car il est insatisfait de l'ouvrage et ne trouve pas seul une issue satisfaisante. Au petit matin, je le devine, décrochant son téléphone pour appeler à la rescousse Jean-Claude Grumberg et bénéficier d'un regard nouveau sur le scénario. Et j'entends la voix de Grumberg lui dire : « Marcel, tu ne dois pas craindre de développer et d'approfondir ce qui ne relève pas d'un De Gaulle intime, la France et ses soubresauts sont justement l'intimité du général».


Lambert Wilson est presque un vrai De Gaulle. Je me souviens de films dans lesquels le réalisateur ne voulait pas faire incarner le personnage, se contentant de montrer une vague silhouette, de dos parfois, ou un képi de général de brigade avec ses deux étoiles. Une première sans doute et cela a de quoi impressionner le comédien le plus aguerri. Cela explique peut-être un De Gaulle un peu timide. Isabelle Carré est magnifique en Madame De Gaulle et elle lui rend justice en mettant fin à une tante Yvonne un peu bobonne.


Si Paul Reynaud a sans doute été un président du Conseil dépassé par les évènements et mal entouré, Olivier Gourmet qui l'interprète est en revanche un magnifique comédien. Nous ne voyons Reynaud que quelques instants, était-il vraiment utile de déranger Gourmet pour si peu et nous contrarier par là même ?


Lettre à Franco de Alejandro Amenabar et De Gaulle de Gabriel Le Bomin entrent en résonance avec des films plus anciens comme Le dernier été de Claude Goretta, Les heures sombres de Joe Wright et Je ne rêve que de vous de Laurent Heynemann. Charles De Gaulle, Georges Mandel, Winston Churchill et Léon Blum sur fond de Franco et de Pétain pour éclairer le présent. Ce n'est pas que du cinéma.


Nota Bene
L'occasion est bonne de relire «  L'ETRANGE DEFAITE », le témoignage écrit en 1940 par Marc Bloch, historien. Paru chez Gallimard dans la collection Folio-histoire.

Freddy-Klein
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le 4 mars 2020

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