Un bon profil qui se voile la face

À l’heure où les Biopics hantent le paysage cinématographique international, sort en salles le premier Biopic (au cinéma) du Général de Gaulle, figure historique française. Jusqu’à présent, il n’y avait eu que des téléfilms à son propos.

Il y a quelque chose que j’ai toujours trouvé fascinant dans les mots, c’est la façon dont on peut les interpréter. L’ironie de « De Gaulle » en est l’exemple le plus illustratif. En effet, ce dernier est la figure d’une Histoire où deux France s’opposent : la France qui collabore et celle qui résiste. Il y a deux Gaules. Peut-être qu’en déclarant que toute la France avait été résistante, il voulait lutter contre l’ironie de son nom. Qui sait ?
Plus sérieusement : après avoir vu le film, on se dit que le titre de ce dernier est problématique puisqu’il ne traite pas de « De Gaulle » mais plutôt de l’homme du 18 juin. En effet, les 1h50 du film ne retracent que 2 mois (mai et juin 1940) d’une existence riche en événements. Ainsi, c’est une facette de De Gaulle qui nous est amenée à voir, pas sa vie. Quelque part, c’est tout à fait logique. Lambert Wilson qui interprète le rôle-titre a d’ailleurs déclaré au micro de France Inter « Si on m’avait proposé de jouer De Gaulle pendant toute sa vie, j’aurais sûrement refusé », phrase qui est révélatrice de l’ampleur du personnage, de la maladresse du titre et de l’importance des mots.


De Gaulle montre l’ascension d’un homme, qui va devenir le symbole de la Résistance dans une période où la France s’apprête à collaborer avec Allemagne. On connaît tous l’Histoire, mais l’originalité -qui n’en est pas une en réalité- réside dans le fait que le réalisateur s’attarde sur la relation forte entre Charles et Yvonne. On sait que les scénaristes se sont inspirés des vraies lettres que s’échangeait le couple, mais cela ne fait renforcer que le caractère mielleux du métrage. Le film tente de nous immiscer dans la vie intime du futur premier Président de la Vè République avec notamment une scène d’ouverture qui donne le ton. Yvonne et Charles sont sur leur lit à Colombey-les-Deux-Églises en train de s’échanger de doux baisers.
Le film a un gros défaut, c’est qu’il manque clairement de caractère. En fait, il n’est pas à la hauteur (sans mauvais jeu de mots) de la personnalité du Général De Gaulle. Les personnages manquent d’épaisseur, les interactions entre les différents protagonistes sonnent parfois faux, pas seulement à cause de la théâtralité des tons. Il est difficile pour des acteurs de se transcender quand les rôles qui leur sont offerts sont écrits maladroitement. Heureusement, au fur et à mesure que les minutes défilent, Lambert Wilson semble gagner en assurance dans son jeu jusqu’au climax de son acting lors qu’il appelle à la Résistance. Concernant les seconds rôles, on a beaucoup de mal à y croire (excepté Olivier Gourmet qui joue bien le dépassé Paul Reynaud), et pourtant c’est un biopic qui se veut au plus proche de la réalité. Typiquement, le personnage de Churchill est caricatural, en témoigne sa première intervention en français qui m’a nerveusement fait rire. De ce film résonne ainsi la maladresse.



Une réalité fictive, une fiction réelle



Les Mémoires de guerre du Général de Gaulle, le témoignage de son fils Philippe et les lettres échangées avec son épouse Yvonne : tant de sources qui donnent au film un souffle de réel. En plus de ça, le réalisateur joue avec nos perceptions, très justement pour certains, trop lourdement pour d’autres. Le nombre de plans où Lambert Wilson est filmé de dos ou de profil est incalculable. On perçoit à quel point Lambert Wilson (dans le rôle qu'il interprète) a le profil et la carrure du Général. Mais dès qu’on s’attarde sur son visage, la réalité nous rattrape. C’est ambigu puisqu’on comprend à travers la réalité que c’est de la fiction, et à travers la fiction que c’est une forme de réalité. Gabriel Le Bomin interroge réellement notre capacité à s’imprégner de la fiction, pour appréhender la réalité. Le problème est que le réalisateur abuse de ces clins d’œil. Au début, on trouve cela intéressant, à mesure que le film avance, la pertinence « recule ».
Finalement, le métrage n’a pas un traitement si original et laisse un goût amer au spectateur.


De Gaulle est l’exemple typique d’un film trop lisse cherchant le consensus pour éviter de dévoiler une radicalité insoupçonnée. Face à ce produit aseptisé, on reste hermétique au film et on se demande pourquoi le Biopic est sur le trône de la création cinématographique.
Peut-être que face à un bon profil, on se voile la face.

sachamnry
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Sal(l)e année 2020, 2020: découvertes et redécouvertes filmiques et Les meilleurs films de 2020

Créée

le 9 mars 2020

Critique lue 2.2K fois

22 j'aime

11 commentaires

sachamnry

Écrit par

Critique lue 2.2K fois

22
11

D'autres avis sur De Gaulle

De Gaulle
Behind_the_Mask
7

London Calling

Qu'elle est lourde la charge de la représentation d'une si importante figure de l'Histoire, et surtout, de l'idée que le peuple s'en fait : cette raideur, cette voix, cette grandiloquence un peu...

le 4 mars 2020

25 j'aime

13

De Gaulle
Cinephile-doux
5

Tu parles, Charles

De Gaulle de Gabriel Le Bomin Le cinéma français s'est rarement intéressé au personnage de de Gaulle, sans doute effrayé par son côté "statue du Commandeur", au contraire de son homologue britannique...

le 4 mars 2020

24 j'aime

De Gaulle
sachamnry
5

Un bon profil qui se voile la face

À l’heure où les Biopics hantent le paysage cinématographique international, sort en salles le premier Biopic (au cinéma) du Général de Gaulle, figure historique française. Jusqu’à présent, il n’y...

le 9 mars 2020

22 j'aime

11

Du même critique

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait
sachamnry
8

Les Choses de la vie, les choses qu'on envie

Je désirais voir ce film. J’ai aimé ce film. J’aurais apprécié ne voir que ses qualités. J’aime les choses qu’on dit, mais apprécie davantage les choses qu’on fait. Et justement, là où le dernier...

le 16 sept. 2020

21 j'aime

3

Mademoiselle de Joncquières
sachamnry
8

"L'amour est une offense pour ceux qui en sont dépourvus"

Emmanuel Mouret, diplômé de la Fémis, nous présente son dernier long-métrage, une adaptation de l’histoire de Madame de la Pommeraye issue du conte philosophique de Denis Diderot, Jacques le...

le 20 avr. 2019

17 j'aime

8

Le Voleur de bicyclette
sachamnry
8

Les voleurs d'espoir

Le Voleur de bicyclette est un monument du cinéma néoréaliste italien, et pour cause il synthétise toutes les composantes de ce mouvement : les décors naturels, les acteurs non-professionnels et les...

le 21 mai 2020

11 j'aime

6