Vous le savez, en ce moment, c'est le Festival Cannes (si, si, vous en avez sûrement entendu parler). Et pendant le Festival de Cannes, le Grand Journal et ses Grands Journalistes reçoivent plein de gens du cinéma et leur posent de grandes questions (au moins une, deux quand ils ont le temps). Et leur favorite du moment est "c'est quoi un bon film ?". Question ridicule car j'aimerais bien rencontrer la personne qui arrivera à y donner une réponse universelle. Comme je me prends pour une invitée du Grand Journal, je vais vous donner une réponse totalement subjective : les films que je qualifierais de bons m'auront fait ressentir de très fortes émotions, sans trop me prévenir, et m'auront fait oublier tous les à-côtés du cinéma (la clim glaciale, les gens qui parlent, qui arrivent en retard, qui ouvrent leur sachet de bonbons sans complexe, même l'humeur dans laquelle j'étais en entrant dans la salle).
Selon cette définition tout à fait personnelle, ce dernier film d'Audiard est bon. J'en sors à peine et j'ai l'impression d'être passée sous un rouleau compresseur.

Ali traverse la France avec son fils de 5 ans, mais sans argent, pour rejoindre sa soeur dans le sud. Il tente alors de reconstruire sa vie tant bien que mal en vivant de boulots de vigile (c'est un ancien boxeur) et avec ce fils dans les pattes. Il rencontre Stéphanie à la sortie d'une boîte de nuit, à la suite d'une bagarre, et lui laisse son numéro de téléphone "au cas où".
Elle le rappellera après avoir perdu ses deux jambes dans un accident de travail ; elle était dresseuse d'orques au Marineland.
A ceux qui avaient peur qu'Audiard se soit tourné vers Marion Cotillard pour faire du glamour se détrompent : ici rien n'est glamour et surtout pas Cotillard. On découvre une actrice sans artifice, qu'on ne connaissait pas. Elle EST véritablement ce personnage écorché et qui semble sonnée, presque abrutie, tout le long du film, par cet accident.
Quant à Matthias Schoenaerts, c'est une vraie découverte. Il est tout en puissance, une puissance sourde et d'autant plus impressionnante.
Curieusement, la scène la plus difficile à supporter n'est pas celle de son accident (oui, j'avais peur de cette scène). Le spectateur ne voit rien – et n'a pas besoin de voir d'ailleurs – : la scène se passe très vite, Audiard n'insiste pas lourdement dessus. D'ailleurs, on ne connaît pas les détails des circonstances de l'accident. Première violence du film après son accident : la lumière, toujours filmée de face et qui ne cesse de nous éblouir, nous spectateurs, et le personnage de Stéphanie. Comme si le dehors était une agression en soi qu'elle se prenait en pleine face.
Puis, paraît Ali (un boxeur qui s'appelle Ali, tiens, tiens). Et la suite, vous la connaissez, vous êtes tous déjà allés au cinéma.

Cet Ali, il en a, lui, de la violence à revendre. Et ce n'est que lorsqu'on le voit se battre que l'on voit à quel point sa bestialité est là, à la surface et ne demande qu'à s'échapper à la moindre occasion. Ce père très maladroit et qui ne semble ressentir aucune tendresse pour son fils, devient alors effrayant. Même sa façon de baiser (il n'y a pas d'autre mot) est animale et emplie de cette même violence. Alors qu'on le connaît si délicat avec cette jeune femme qu'il ne connaît pas. C'est précisément cette violence extrême qui le sauvera, au final. A la force de ses mains il sauvera ce qu'il a de plus cher, au point de se les briser.
Et l'agression constante ressentie par les deux personnages disparaît lorsqu'ils sont ensemble. La douceur s'installe alors, tranquillement et naturellement. Sans chichis, sans manière, sans gêne. Et Audiard filme cela dans des plans de grande respiration, qui permettent au spectateur de souffler (on rit !), parce que oui, le spectateur se prend pas mal de de claques.
Autre chose frappante : l'une, après son accident, cherche à revivre, à protéger son corps et à s'épargner ; l'autre passe son temps à se le flinguer et à se faire défoncer la gueule. Cela donne une impression assez particulière au spectateur. Les scènes de combat sont davantage sources de malaise et difficile à regarder de par ce contraste de rapport au corps. D'autant plus que Stéphanie assiste à ces combats, de l'autre côté de la vitre d'un van, impuissante et, au début, effrayée.
Mes formules sont peut-être un peu niaises mais je peux vous assurer que le film n'a rien de niais et ce n'est pas faute d'avoir choisi un thème où l'on pouvait facilement verser dans le pathos ou le glauque inutile.
Difficile de pas trop en dévoiler, je vais donc m'arrêter là même si j'aurais d'autres choses à dire.

Oui, encore une fois selon ma définition, ce film est bon. On oublie totalement que l'on est face à des acteurs, ils sont impeccables de sobriété et de justesse, seconds rôles inclus ; la BO s'intègre parfaitement aux images sans prendre trop de place (Bon Iver, Django Django, etc.) ; la caméra n'est jamais intrusive ni maniérée ; la lumière délicate ; les effets spéciaux invisibles...Le résultat est un film qui happe totalement le spectateur, qui n'a pas vraiment le temps d'opposer quelque résistance que ce soit.
Et je clôturerai mon article par ceci : dans tous les cas, on ne pourra pas taxer Audiard d'être snob. Un cinéaste français qui utilise du Katy Perry ne peut pas être snob et n'a peur de rien.
Holly_Golightly
8
Écrit par

Créée

le 28 mai 2012

Critique lue 381 fois

2 j'aime

Holly_Golightly

Écrit par

Critique lue 381 fois

2

D'autres avis sur De rouille et d'os

De rouille et d'os
guyness
6

Il dérouille, éros

Autant dire qu’avant de m’y mettre, j’avais le cul entre deux chaises (roulantes). Sur l’étagère "à priori berk": un pitch improbable, Marion Cotillard dompteuse d’orques infirme (infirme, on est...

le 12 nov. 2012

62 j'aime

8

De rouille et d'os
Kenshin
5

C'est moignon comme tout.

J'ai pas forcement envie d'être dur avec ce film et pourtant je crois qu'il faut tarir d'éloge à son sujet. Au sujet de son développement si étiré, avec beaucoup de redondance. On ne saurait taire...

le 31 mai 2012

55 j'aime

8

De rouille et d'os
Gothic
7

Audiard-bleu-la varice !

Le voilà enfin, le rôle de sa vie. Enfin, Marion Cotillard nous scie les pattes ! L'ORQUE, IDEE SAUVAGE Stéphanie est jeune et jolie (si, arrêtez avec les insultes maintenant, elle est souvent...

le 25 avr. 2013

52 j'aime

7

Du même critique

Blue Valentine
Holly_Golightly
5

Ils se marièrent et vécurent...ah non.

Blue Valentine. Le nom annonce la couleur (sans mauvais jeu de mots) (enfin si mais ce n'est pas fait exprès). Pour ceux qui ont raté les cours d'anglais du collège et qui n'ont jamais vu ni de film...

le 26 juil. 2011

20 j'aime

1

Detachment
Holly_Golightly
6

Voici venus les Barbapapas !

On me propose d'assister à l'avant-première d'un film ayant pour thème un professeur qui fait un remplacement dans un lycée dur. Forcément, première pensée : "Euh...mais on l'a pas déjà vu quinze...

le 26 janv. 2012

12 j'aime

Colombiana
Holly_Golightly
1

Mais pourquoooaa ?

Bienvenue dans le monde merveilleux du cinéma co-écrit et réalisé par le grand Luc Besson ! Un monde dans lequel on prend le spectateur pour un imbécile et auquel, pendant deux heures, on va servir...

le 3 août 2011

11 j'aime

1