En guise de découverte du cinéma de Kathryn Bigelow, l’oscarisé meilleur film The Hurt Locker impressionne grandement. Il est d’ailleurs d’autant plus remarquable qu’il constituait pour cette dernière un retour au premier plan couronné de succès, et par la même occasion révélait pour de bon le fort sympathique Jeremy Renner : un premier rôle marquant et tête de file d’un casting mine de rien sexy, quelques grands noms jouant les seconds couteaux brièvement tandis qu’Anthony Mackie se faisait également un nom.
The Hurt Locker bénéficie donc d’une pléiade d’interprétations aux petits oignons, et nous reviendrons par la suite sur l’écriture des personnages. Pour le moment, soulignons le tour de force incontournable de ce récit sous haute tension qu’est son réalisme à toute épreuve : sur ce point, la mise en scène de Bigelow opère un équilibre savant entre caméra à l’épaule immersive, gros plans où la sueur et le sang règnent en maîtres et des panoramas et vues d’ensemble empreints d’une quiétude trompeuse. L’ensemble s’adjoint un souci du détail rendant l’action tangible à souhait, le spectateur étant par voie de conséquence convié à vivre sous toutes ses coutures la guerre en Irak... par delà les barbelées et via un prisme atypique.
Le récit rend à ce titre parfaitement compte du danger planant à l’envie, sans jamais glorifier ni questionner l’intervention américaine : par l’entremise d’une approche à échelle humaine, il n’oublie néanmoins pas d’illustrer subtilement l’ambivalence d’une telle occupation armée, le mutisme de civils se muant en observateurs traduisant non seulement le malaise inhérent à cette « invasion », mais aussi l’impossibilité d’aboutir à une paix librement consentie. The Hurt Locker opte donc pour une vision viscérale mais consciente d’une telle ingérence, et bon sang que c’est captivant ! La couleur était d’ailleurs donnée rapidement, l’ouverture tendue conduite par Thompson compilant en une séquence tout ce qui fera la sève d’un récit prometteur.
Doué d’un visuel irréprochable et d’une partition musicale adroitement discrète, celui-ci laissait toutefois planer un doute : comment agencer deux heures de long-métrage avec pour principal fonds de commerce du déminage ? En réalité, le scénario de Mark Boal n’en abusera aucunement, celui-ci préférant s’en servir pour nous permettre de mieux cerner la personnalité de ses protagonistes, et ce quand bien même ces séquences seraient intrinsèquement à minima impressionnantes. Centralisant l’attention sur le Sergent William James, The Hurt Locker tisse un portrait fait d’une témérité aux portes de l’invraisemblable, et pourtant : outre la prestation lumineuse de Jeremy Renner, sa nonchalance tiendra finalement du trompe-l’œil tant il évoluera avec parcimonie.
Sa relation délicate avec Sanborn, et à une échelle moindre Eldridge, n’illustrera alors que trop bien une écriture brillante, et ce quand bien même ses brusques accès de « folie » fausseraient en partie le réalisme ambiant. Le devenir de « Beckham » abonde en ce sens, mais force est de reconnaître que cela fonctionne envers et contre tout, bien que l’on puisse regretter que l’inconséquence de ses actes n’entraîne pas plus de remous (notamment administratif). Finalement, le premier faux-pas que commettra The Hurt Locker ne le concernera pas, mais davantage le tandem Eldridge/Cambridge : jouant sur l’affect du premier, l’intrigue ne sera guère inspirée quant à l’usage du second, son destin s’avérant prévisible comme pas deux au détour d’un ultime tour de piste frisant le candide.
N’en déplaise à cette petite facilité, le long-métrage demeure donc proche de la perfection à mesure que la vaillance de James ne se délite, pour finalement aboutir à une confidence aux forts accents désabusés alors que Sanborn l’interroge vainement. Puis vient cet ultime segment avec, enfin, le rêvé retour au pays. Rêvé, vraiment ? Ici, James se heurte à un quotidien ordinaire tranchant avec l’adrénaline de ses innombrables missions : les rayons du supermarché sont le reflet d’une vie lisse, sa femme change de sujet dans le piètre espoir de tirer un trait sur ce passé précaire et, comble de l’ironie, la paternalité elle-même ne saurait redorer le blason d’une existence désormais prévisible.
Il faut alors bien comprendre que si un tel dénouement est au demeurant sensé, l’exécution pèche dramatiquement : le revirement de James est à ce titre quelque peu rushé, et The Hurt Locker se fend qui plus est d’une conclusion pataude à souhait, son protagoniste phare s’en retournant à la guerre sous couvert d’une partition badass. Comme si la subtilité notable de son scénario généreux était restée coincée outre-Atlantique. On frise donc la déception, le film se clôturant de manière médiocre en égratignant ce qui en faisait jusqu’alors l’attrait : des figures faillibles et une retranscription anti-romancée d’un conflit dévastateur.
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