Au son des muezzins envoûtants de Bagdad, quelques hommes, proies et non conquérants d’une guerre absurde, ont pour mission de désamorcer des engins explosifs en plein cœur d’un chaos plus implacable encore que leur tâche quasi suicidaire. Kathryn Bigelow excelle à rendre concret et âpre leur travail périlleux en s’immergeant, à corps perdu, dans le quotidien de ces mercenaires de la vie constamment sur le fil, comme des funambules cuirassés, des s’en fout la mort sans égard. Les scènes de déminages engendrent un sentiment brutal de peur et de malaise puisque le danger, permanent, demeure invisible et immédiat, foudroyant dans sa façon de tuer ou de déchiqueter. Mais ce ne sont pas les désenclenchements de bombes qui pétrifient, font suffoquer le plus, c’est l’environnement autour, dans sa globalité, qui dicte et soumet ce climat d’effroi incessant, Bigelow n’oubliant pas d’en faire un protagoniste à part entière, une entité opaque et menaçante où la mort, imprévisible, éventuelle, se tapit derrière chaque façade, chaque gravats, sac, rue, toit, voiture ou civil.

Mais dès l'instant où le film ne se concentre plus sur l’action, sur ses enjeux physiques et émotionnels, dès qu’il s’essaie aux (ennuyeux) chemins de traverse, dès qu’il tente d’établir, de cerner maladroitement une psychologie des personnages, il s’engouffre en un clin d’œil dans les clichés et les poncifs, les hurt lockers devenant alors des stéréotypes sans plus aucune aura, des troufions lambda aux usages caricaturaux et paroles creuses. Leur vécu sur le terrain, leur absorption à l’abîme, suffisent à imposer avec force et rémanence leurs peurs, leur caractère, leur désarroi aussi face à l’horreur et leur technicité carburant autant à l’instinct qu’à la rigueur. De plus, l’alternance avec les scènes de la vie de tous les jours, dans le camp militaire, instaure rapidement une routine scénaristique, un manque d’originalité dans la construction, dans le maintien du suspens et des implications du récit. Et la dernière scène, trop démonstrative, expose avec faiblesse ce que l’on avait déjà compris ou pressenti par avance.

Au centre du film, il y a soudain un événement autre qui, superbement, suspend le temps, escamote la narration : une longue et impressionnante scène de tirs entre snipers à plus de 850 mètres de distance, débarrassée de tout superflu, bluffante et tétanisante. Ce duel immobile sous le soleil est comme une trouée dans la tension, dans l’urgence du film, et malgré sa violence sourde, il semble procurer un apaisement à ces hommes de l’extrême qui, chaque jour, "jouent" avec ou contre la mort, (sur)vivent avec cela à l’estomac, tel un manque, et dans la gorge comme des nuages de poussière avalés ; et pouvoir s’en abreuver, s’en enivrer à la lie quand c’est là l’unique moyen de le supporter.
mymp
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le 23 janv. 2013

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