Der Samurai, le premier film de l’allemand Till Kleinert jouit depuis plus d’un an d’une renommée dans les festivals internationaux. Votre serviteur l’avait découvert à l’époque au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) où il avait été sélectionné dans la compétition officielle. Son réalisateur était même venu présenter son film et participé à un question-réponse avec un public charmé par ce film tout bonnement dément. Il en avait profité pour révéler ses intentions, ses références et revenir sur la genèse de ce projet particulier puisqu’il s’agit du film de fin d’étude de Till Kleinert. Ce dernier révéla qu’il s’était inspiré de la culture manga et surtout de la culture vidéoludique pour son film. Il cite avec plaisir le jeu Silent Hill bien qu’il pense s’y être inconsciemment inspiré. Ce n’est qu’à la fin du tournage qu’il avait senti l’impact du titre sur son travail. Etudiant et donc encore inconnu du milieu de la production cinématographique, Till Kleinert a pu compter sur le crowdfunding pour financer son film même si les participants sont en grande majorité des amis ou des membres de la famille du réalisateur et de celle de l’équipe du tournage. Il évoque les contraintes de production d’un tel film, cru et plutôt osé dans son approche. Mais malgré les difficultés, il a néanmoins réussi à réunir des financements provenant de boîtes de production allemandes, ce qui s’avère être une véritable prouesse pour un étudiant et surtout un scénario aussi singulier. Un processus de création atypique qui forge le respect pour ce jeune cinéaste allemand qu’il faudra suivre de près.


A l’origine d’une demi-douzaine de courts métrages ces dix dernières années, Der Samurai est donc le premier long métrage de Till Kleinert et accessoirement le film qui lui a permis de décrocher son diplôme à la Deutsche Film und Fernsehakademie Berlin. Avec son intrigue schizophrène, Der Samurai fascine par sa capacité à nous offrir quelques plans d’une élégance esthétique imparable tandis qu’une bande-son électro nous emporte dans ce trip provocateur et obsédant. Il est facile de se perdre dans ce récit dont on ne sait jamais s’il évoque la schizophrénie de son personnage principal, la folie destructrice d’un homme ou d’une métaphore subtile et réfléchie de l’image du loup solitaire dans notre société. Autant de représentations qui invoquent autant de réponses tant le réalisateur souhaite laisser libre court à l’imagination du spectateur. Ce dernier évoque son film davantage comme une œuvre à prendre comme le fruit d’une métaphore sociétale dans une démarche artistique (expérimentale ?) plutôt qu’un film à la narration classique. Surréaliste et perturbant, Der Samurai nous offre un personnage haut en couleur. Un samouraï aux cheveux longs et blonds, vêtu d’une robe blanche à la croisée du personnage de La Mariée de Kill Bill et de Tyler Durden de Fight Club.


Citant Shining parmi ses références (comme tout le monde), Der Samurai propose une réflexion sur la quête de soi et la manière de surmonter les difficultés de la vie. Stylisé et minutieux dans ses moindres détails, la mise en scène dévoile une ambiance froide (beaux plans de nuit) mais passionnelle (effluves d’orange et de rouge), et offre quelques plans qu’on croirait tout droit sortis de tableaux surréalistes. Mais à force de se complaire dans sa métaphore et de proposer une mécanique lente et répétitive, Der Samurai s’enfonce dans son sujet et perd de vue un certain rythme au profit d’une contemplation dispensable. Le chemin vers la rédemption du personnage devient finalement une épreuve à subir pour l’intérêt du spectateur, qui se réduit au fur et à mesure que l’intrigue se rallonge. A l’inverse, l’esthétisme de la mise en scène est finalement d’une telle prouesse pour un étudiant sur son premier long métrage qu’elle suscite une certaine fascination. Au-delà de la photographie, Till Kleinert démontre un certain talent à scénariser par le biais d’une écriture exigeante de ses personnages. Le réalisateur livre une réflexion fine et psychologique de ce policier morne et introverti, qui trouvera le salut dans un rapport destructeur, sexuel et sauvage avec un antagonisme troublant et emblématique.


Dommage que le film perde en intérêt et ne s’enferme dans ses délires qui demandent à chaque fois de nouvelles interprétations car Der Samurai est une œuvre unique, à l’identité visuelle singulière et dont les errances psychologiques diviseront joyeusement les spectateurs. Mais pour un premier film, on ne peut qu’approuver la démarche de Till Kleinert et avoir une certaine tolérance pour un réalisateur qui a encore toute sa carrière devant lui et dont on attend le prochain film avec impatience.


La même critique, mais avec des images.

Softon
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le 24 juin 2015

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Kévin List

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