Dans la banlieue de la Seine-Saint-Denis, dans un petit appartement par la fenêtre duquel des bars écrasent ses habitants de sa laide hauteur, une petite dame lave le sol de son appartement, fait la vaisselle et chante en laissant ses larmes inonder ses iris. Le pari de ce petit film d'une heure est assez exceptionnel : présenter au public une femme, arrivée en France d'Algérie dans les années cinquante-soixante, ne connaissant pas le français et s'occupant d'un foyer de neuf enfants pendant que son mari travaillait courageusement à l'usine. Très vite, l'homme de sa vie perd la tête et doit être admis dans une maison de retraite, laissant sa femme dans une forme de tristesse sourde. Son fils, Nadir Dendoune, décide alors de la filmer dans son quotidien pour l'immortaliser, pour l'écouter, pour lui rendre un hommage, pour, comme il le dit "filmer les invisibles" que sa mère incarne dans toute sa splendeur. Le film dégage une poésie et une profondeur assez étonnante puisque par le visage de cette femme circule toute l'émotion propre à sa vie. A la fois, la nostalgie si propre à la vieillesse, et en même temps, cette douleur brûlante de ce déracinement à la terre qui l'a faite naître. Même si cette femme est d'une modestie inouïe, elle dégage une certaine noblesse, celle du renoncement, du stoïcisme et de l'abnégation. Si elle parle effectivement kabyle, elle dégage par sa façon d'être quelque chose d'universel, d'autant plus que l'esthétique du film appuie cette sensualité particulière. La vieille femme est belle. Belle et noble.
Tout à chacun connaît l'idée préconçue selon laquelle l'oeuvre dépasse souvent son auteur, et force est de constater que cette loi semble ici s'appliquer, tant l'homme, certes auteur d'un chef d'oeuvre, dégage réellement une prétention et une forme de sectarisme inquiétant. Lors de sa tournée des salles de cinéma, grâce auxquelles il débat et parle avec le public, la beauté du film laisse place aux mêmes plaidoiries, celles d'une France bourreau colonisatrice. Le manichéisme est le pire ennemi de la nuance et donc de l'universalisme. S'il ne s'agit pas de nier l'horreur et l'inhumanité de la colonisation, certaines phrases de Nadir Dendoune m'ont laissé pantois. "Il y a des peuples dominants et des peuples dominés, comme si ma grand-mère était responsable de la colonisation mise en route par ses élites politiques. Le réalisateur, par ses paroles ségrégationnistes, semble dénier l'universalisme de son chef d'oeuvre. Très vite, l'ahurissante admiration pour cette oeuvre sublime s'efface face à l'agacement que nous provoque par nature les donneurs de leçon, prenant pour eux la douleur de ceux qui sont plus nobles qu'eux. Décidément, les fils n'arriveront jamais à la hauteur de la grandeur de leur mère.