Un monastère sis dans les montagnes d'Algérie, comme un rêve du passé dans un écrin sauvage. Une petite communauté de moines français, les Cisterciens de Tibhirine. La vie quotidienne est rythmée par les offices de la Liturgie des Heures, baignées de chants et de prières évanescents. Les tâches quotidiennes s'accomplissent en silence, le soleil du Maghreb teintant chaque geste d'une promesse d'éternité. Mais les moines n'ont rien de reclus fuyant la réalité du monde. Mêlés à la population arabe depuis de nombreuses années, ils font partie intégrante du pays. L'âme chrétienne et celle de l'Islam s'unissent dans des discussions amicales autour d'un thé, au marché, ou encore dans des rituels musulmans auxquels les moines n'hésitent pas à assister, cherchant Dieu jusque dans ces prières chantées dans la langue de Mahomet. Et soudain, les clameurs lointaines de la Guerre civile algérienne se rapprochent. Les terroristes décident de ne plus ignorer les disciples du Christ, provoquant dès lors chez ces derniers une peur qui les forcera à réévaluer leur foi et leurs convictions.

Car c'est bien de cela dont parle Des hommes et des dieux. De ce moment si particulier dans le parcours d'un Homme, où il convient de donner un sens à sa vie au moment où l'on craint de la perdre. La tranquillité parfaite de l'existence au monastère a peu à peu fait oublier aux moines la force de leur engagement, la valeur du sacrifice. Ils ont déjà abandonné leurs vies, symboliquement, le jour où, quittant famille et amis, ils ont décidé de suivre l'appel de Saint Benoît dans un pays qui leur était inconnu. Mais sont-ils prêts à aller jusqu'au bout en revendiquant leur liberté absolue face à la mort ?

La seconde partie du film nous confronte donc à des hommes vivant réellement leurs convictions spirituelles, entrés de plein fouet dans la violence du monde. Chaque moine est tiraillé par un conflit qui exprime l'essentiel de l'expérience humaine, partagée entre l'amour de soi et l'amour des autres, les tourments et la contemplation, le crépuscule et l'aurore de toutes les certitudes. Avec pudeur et sincérité, le scénario distille des dialogues qui expriment directement au spectateur le drame de son existence, sa fuite continuelle vers de lointaines espérances alors que toute sa vérité se trouve peut-être là, dans son acceptation du moment présent et sa responsabilité d'être libre.

L'interprétation suit admirablement cette ligne de conduite tout en subtilité avec un Lambert Wilson d'une étonnante force intérieure, un Michael Lonsdale d'une sincérité presque douloureuse et un Jacques Herlin d'une fragilité qui confine à la noblesse. Le film n'est soutenu par aucune autre musique que celle des chants monacaux, à l'exception de cette scène qui représente peut-être le moment le plus intense de l'histoire: celle de l'ultime repas des moines, emporté par le Lac des Cygnes de Tchaïkovski. Les religieux, à cet instant, n'ont plus rien de mystiques ou d'illuminés: leurs rires et leurs larmes sont les nôtres, partage et célébration d'une vie dramatique qui trouve aux heures les plus sombres sa promesse d'harmonie.
Amrit
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le 9 janv. 2011

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