Disons-le d'emblée, Detachment est un sérieux concurrent au titre de pire film jamais réalisé. Presque 13 ans après son déjà putassier et racoleur American History X, Tony Kaye récidive à travers le portrait nauséeux d'une humanité qu'il abhorre, un cri de haine aussi vain qu'abject envers ses semblables, en nous livrant un mélo de la pire espèce, un objet filmique aussi détestable que manipulateur, à mi-chemin entre une fiction au lyrisme douteux et un faux documentaire croulant sous l'alarmisme puant de son sujet mille fois rabâché, celui d'un système éducatif au bord du gouffre.

Enfonçant allègrement des portes ouvertes durant les 100 minutes interminables de son drame, Tony Kay met en scène un professeur remplaçant, répondant au nom – ici faussement prestigieux – de Henry Barthes (Adrien Brody, dont le talent n'a jamais été autant gâché), qui doit faire face à l'agressivité de ses nouveaux élèves ignares, en même temps qu'aux caprices d'une jeune catin ramassée un soir sur le bord d'un trottoir et l'agonie de son grand-père sénile, dont la conscience ravagée a depuis longtemps sombré dans les abysses d'un purgatoire parallèle où il semble chercher l'improbable pardon de sa fille, morte avant lui. Le rapport dramatique entre les trois intrigues ? Il n'y en a aucun, si ce n'est une contingence effarante résultant d'un travail de scénariste bâclé, présomptueux et ignorant des règles de base de l'écriture filmique. Victime d'un montage hasardeux, le spectateur se perd rapidement entre les interminables errances de Henry dans les couloirs d'un lycée en perdition, ses visites à l'hospice où son grand-père le prend pour sa mère (Henry partage tellement ses hallucinations de mourant qu'il finira même – au détour d'une scène risible jusqu'au délire – par incarner sa propre mère en imitant sa voix...) et ses petites attentions pour sa prostituée particulière dans laquelle il croit déceler les derniers éclats d'une humanité foutue, avant de l'abandonner comme un vieux mouchoir usagé. Trois axes dramatiques trop disparates qui usent jusqu'à la rupture les ficelles du mélodrame facile, à grand renfort de cadrages tremblotants, de larmes factices et de mélodies dégoulinant de pathos exécutées par un piano tellement omniprésent qu'on est très vite saisi par l'envie irrépressible d'en massacrer les touches à coups de marteau.

D'une laideur visuelle incommensurable, presque tous les plans étant envahis par un grain grossier d'autant plus infâme qu'il semble volontaire, Detachment fait surtout preuve d'une lourdeur pathétique dans le message désespérément crétin qu'il tente d'infuser dans la conscience de ses spectateurs. Outrancièrement moralisateur, le film clame en permanence la ruine de nos sociétés (scoop !) et l'échec inéluctable de l'humanité, en se vautrant dans un premier degré aussi effrayant que dangereux. Que veut montrer Tony Kaye ? Que l'homme est une merde méprisable, un être insignifiant, sans visage ni valeur ; que la société est une épave composée de parents déserteurs et de rejetons ingrats ; que les actes de bonté sont aussi éphémères qu'inutiles ; que tout est pourri et qu'on ne peut rien y faire. La solution ? Tony Kaye en propose en fait plusieurs, dans sa grande générosité de cinéaste misanthrope : le suicide (sublimé à l'écran par de somptueux ralentis sacralisant une ado qui s'empoisonne en public) ou bien le fameux « détachement » annoncé par le titre. Tout est foutu, vous dis-je, alors à quoi bon se battre ? Flinguez-vous ou enfermez-vous dans une bulle, laissez tout tomber : vous mourrez comme tous les chiens qui vous entourent, mais (peut-être) un peu moins malheureux. Voici donc le sinistre message, la vérité profonde du cinéma débile de Tony Kaye, un tissu de connerie existentielle ourlé de lâcheté humaine qui ne provoque finalement qu'un immense dégoût envers son vil créateur et le désir viscéral d'effacer de nos rétines bafouées son éclatant mépris pour le genre humain. Si vous êtes à ce point convaincu, Monsieur Kaye, que les hommes ne valent plus la peine d'être considérés, pourquoi essayez-vous toujours de faire du cinéma ? Vous qui avez perdu toute foi dans le monde des vivants, peut-être devriez-vous chercher votre réelle vocation dans la gestion d'une entreprise de pompes funèbres ou bien dans la direction d'une morgue... PS : Et merci de ne plus souiller la mémoire d'Edgar Allan Poe, dont vous n'avez visiblement pas saisi l'univers poétique, en l'utilisant comme l'argument d'autorité ultime dans votre conception bassement nihiliste de l'homme.

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le 11 févr. 2012

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