Voilà bien longtemps que je n’avais pas été à ce point malmené, excité, terrifié, violenté par une « séquence » au cinéma. Ça fait du bien. Si je mets les guillemets c’est uniquement parce que la séquence en question concentre les deux/tiers du film ou quelque chose comme ça, je n’en sais fichtre rien en fait tant ça m’a semblé aussi puissant et magistral qu’assommant et interminable.


 Ce qui est très beau et plutôt rare dans ce genre de film gravitant autour d’un unique bloc séquentiel précis, en l’occurrence l’arrestation de l’Algiers motel (le 25 juillet 1967) c’est qu’on ne reçoit aucunement le geste en tant que performance, le parti pris comme raison au film d’exister. L’instant arrive quand il doit arriver, sans qu’on l’ait attendu ou imaginé ne serait-ce qu’une seconde. Le film existe déjà brillamment avant cette longue séquence. On croit d’abord qu’il va s’étirer ici plus que d’ordinaire avant de passer à autre chose. Mais non, il s’installe-là jusqu’à l’écœurement.
La première partie du film est en effet très documentée et disparate, s’intéresse à la ville de Détroit en état d’urgence suite aux émeutes de 1967, offert en carnet de route hyperréaliste, avec les dates des émeutes, les noms des différents lieux. Plus étrange dans cette introduction, il n’y a pas de personnage principal clairement identifié mais plutôt des groupes dans le groupe : Trois flics d’intervention, deux agents de sécurité, des émeutiers, les membres d’un groupe de soul music. On passe des uns aux autres sans pour autant croire qu’ils vont converger ensemble vers une séquence centrale en huis clos. C’est ce que j’appelle réussir sa dimension chorale, déjà.
D’autant que Detroit se permet aussi de s’ouvrir sur un générique animé, plus introductif que didactique et très beau justement parce qu’il est en animation et non en images/vidéos d’archives. Et d’autre part de s’en aller en film de procès. Pas la partie la plus réussie du film d’autant que tout est surligné à nouveau sur les cartons du générique final mais cela permet au film de sortir élégamment et non sur ce coup de poing virtuose qui aurait probablement laissé un amer goût de complaisance.
Ce qui me plait dans cet épilogue appendice c’est qu’on y voit dès lors que des visages tandis que la première partie s’évertuait à ne montrer que l’action et engloutir l’émergence de vrais personnages. Les personnages sont nés grâce à cette ahurissante partie centrale. Ne reste donc que des visages. Fatigués, tuméfiés, honteux, anéantis. Ainsi que les souvenir de ces trois visages qui ont péri dans ce motel. On voyait une masse – Peut-être moins chez les flics où les deux acteurs connus étaient identifiés d’emblée – on distingue désormais tout le monde, on sait ce que chacun a vécu ou fait cette nuit-là. Celui qui a tué puisqu’il n’a pas compris que ce n’était qu’un jeu. Celui qui est mort pour avoir tiré avec un jouet. Le chanteur de soul qui finira dans un chœur d’église. C’est aussi une affaire de trajectoires.
L’interprétation parlons-en, elle culmine à un tel degré d’implication, ça file le vertige. Tous sont exceptionnels. Mention spéciale à Will Poulter, acteur au physique ingrat mais qu’il n’utilise pas à des fins grandiloquentes. Il campe magistralement ce flic raciste monstrueux et ce d’autant plus qu’il donne l’impression qu’il est persuadé d’être un bon flic. Tous les acteurs sont toujours géniaux chez Bigelow c’est vrai, mais là c’est vraiment très fort.
JanosValuska
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le 17 déc. 2017

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JanosValuska

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