Le film est celui d'un sourire vrai qui doit se dessiner sur le visage de quelques employés corvéables à merci dans un supermarché hard discount comme il en pousse un peu partout aux abords des villes.Pas "la banane" affichée dans le bureau de la directrice avec cette invective : "souriez," qu'ils doivent avoir alors qu'ils sont menacés de licenciement face à la menace des caisses automatiques qui vont les remplacer, mais plutôt un sourire de connivence, quelque chose qui naît d'un grand soir à venir, celui de la résistance. Peut-être que rien n'a changé au fond quand la caméra quitte le supermarché et ses bip bip qui résonnent, quelque chose est là pourtant. Le réalisateur ne tombe pas dans la surenchère : celle des bons sentiments ou celle du misérabilisme. Il n'y a pas de rêve. Juste une résistance, celle qui s'installe quand on n'a plus rien à perdre. Mais si les personnages ne font que répéter le mot "solidarité", ils savent aussi que dans chaque galère le chacun pour soi pointe souvent le bout de son nez, sans qu'on puisse lui résister. En croquant simplement le quotidien de chacun, avec sa dose de galères, en tentant de comprendre un peu chacun (même la patronne), le film suit ces parcours qui se solidifient en un. Le gaspillage fait mal au cœur quand il est filmé de manière si frontale, avec les pieds de ceux qui n'ont rien et qui doivent écraser et javeliser les invendus. C'est que le film n'est pas un simple constat social, c'est du cinéma. On ne parle que de "Papa ou maman" pour relever le niveau de la comédie française, mais c'est sans compter sur ce film lumineux porté par des interprètes sublimes (Corinne Masiero, Sarah Suco, Olivier Barthélemy, Pascal Demolon, M'Barek Belkouk) qui n'en font jamais trop et une mise en scène intelligente, un sens du dialogue, de l'image et du montage. Les vannes ne sont pas débitées comme les balles d'une mitraillette.

C'est qu'au-delà de la possession, du désir d'obtenir, de consommer, il y a aussi celui de partager, même de manière fugace pour se rappeler qu'on est avant d'avoir. Qu'importe si rien ne change, "petit pas pour l'homme, grand pas pour l'humanité". Et oui, osons les mots. Aussi touchants que les héros un peu gauches de Ken Loach quand ils partaient à la conquête du whisky dans "La part des anges", les personnages de Discount trouvent aussi cette part là, tels des Robins des bois qui reprennent ce qui leur est dû à des voleurs en costume bien propre. Il faut attendre la fin du film pour que tout cela prenne sens, toute l'action qui paraissait parfois vaine. Voir, comme autrefois dans "Louise Wimmer", le sourire de Corinne Masiero se dessiner, espérer que cet élan là ne périmera pas, qu'il est irremplaçable. Un pied de nez magnifique que cette fin, toujours mise en scène avec intelligence (ce n'est pas un simple enchaînement de faits, mais une attention sur l'humain, la confrontation et l'utilisation de ce grand lieu - la ferme de Christiane qui devient une utopie blessée, mais fière). Le rire est donc amer face à la réalité. Enfin un film social qui n'est pas gris, et qui décape comme un coup de javel dans un hangar vide... Et finalement qu'importe les quelques maladresses du film, ses légers raccourcis. A ce niveau-là, on les pardonne, ils sont humains.
eloch

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