Une étude statistique à l’échelle nationale a été effectuée en 2003, environ 1300 français ont été interrogés sur la thématique carcérale afin de mesurer le taux de connaissance sur la prison. Ce qui ressort principalement de cette étude, c’est la faiblesse relative des savoirs sur le milieu carcéral. Les gens ont une approche logique mais jamais réflexive. La prison évoque la violence et des conditions de détention négatives. D’après cette même étude, la télévision, et plus généralement l’image, apparaît comme étant la première source d’information sur la prison. Les interrogés conservent un semblant de réflexion et remettent en cause le formatage du média télévisuel qui impose un traitement court et des images choc pour donner lieu à une représentation jugée erronée de la réalité. Néanmoins, c’est une représentation qui influence les mœurs et banalise ce regard sur la prison dans notre société.
Ces douze derniers mois, pas moins de trois films dont l’intrigue se situe en milieu carcéral sont sortis en salles : Un Prophète de Jacques Audiard, Cellule 211 de Daniel Monzon et donc Dog Pound de Kim Chapiron. Ce dernier fût remarqué avec le dérangeant Sheitan, film d’épouvante à l’humour très noir. Il est attendu prochainement avec La Crème de la crème (2014) dont l’intrigue se focalise cette fois-ci sur le milieu financier et universitaire. Quatre ans après ce premier long-métrage qui mettait en avant un Vincent Cassel complètement malade, Kim Chapiron s’envole pour les Etats-Unis étudier ces conditions d’enfermement et s’interroger sur les bienfaits souhaités de l’emprisonnement des jeunes. Le réalisateur n’a pas caché ses intentions de coller au plus près de la réalité, déterminé à dénoncer l’environnement carcéral qui nuit à la réhabilitation de ces adolescents. Il met un point d’honneur à insister sur le travail documentaire effectué durant un an dans différentes prisons juvéniles nord-américaines pour accroître le réalisme du film. Un réalisme qui apporte une véritable patte éprouvante à ce remake inavoué du film d’Alan Clark, Scum (1979) dont l’intrigue, sensiblement la même, se déroule dans l’enfer carcéral d’une Angleterre en proie à la crise économique et aux inégalités sociales.
Très tôt, Le cinéma s’est pris d’affection pour le registre de la prison. Cet établissement pénitencier est vu comme un lieu symbolique, une métaphore des tensions qui régissent le monde extérieur. Maintes fois dépeint au cinéma, la prison a souvent été renouvelée à travers les époques. Autrefois, les intrigues suivaient un héros innocent ou coupable mais avec un bon fond. Ce dernier tentait de s’échapper de la prison, allégorie d’une punition insoutenable (Midnight Express d’Alan Parker, l’Évadé d’Alcatraz de Don Siegel, Les Évadés de Franck Darabont, etc.). Vers les années 1990, le regard change sur l’univers carcéral et les cinéastes vont désormais s’intéresser à la psychologie du prisonnier. Il y est désormais davantage question de survie, de rédemption et d’introspection. La série Oz de Tom Fontana marque un point d’orgue dans ce changement de mentalité. La série évoque la manière dont la société règle ses problèmes, et détourne le regard en faisant des prisonniers, les victimes d’une société qui les poussent à commettre ces crimes. Le prisonnier est désormais un être fragile et représente cette « Prison Moderne », nouveau sous-genre de film carcéral où la prison est un lieu d’enfermement malsain, révélateur des faiblesses de l’homme.
Il est intéressant de voir que Kim Chapiron a effectué un tournage éprouvant pour ses acteurs et son équipe. En effet, pour représenter cette délinquance juvénile, Kim Chapiron s’est octroyé les services d’une centaine de figurants qui sont de vrais adolescents prisonniers. Pour justifier ce choix, le réalisateur a dit dans une interview, je cite : « Le regard d’un gamin en détention à 12 ans, c’est unique, jamais je ne pourrai le trouver dans les yeux d’un acteur, quel qu’il soit. » C’est ainsi que toute la figuration du film est en fait de véritables délinquants ayant bénéficié d’une libération conditionnelle de quelques heures chaque jour (certains figurants étant directement recrutés dans les gangs de rue). Seuls les trois principaux personnages du film sont de véritables comédiens, bien qu’Adam Butcher ait un casier judiciaire et s’est retrouvé deux fois convoqués au tribunal durant le tournage du film. Ce choix dans la figuration est l’un des points forts du film, le jeu d’acteurs est brillant et l’on sent une impressionnante sauvagerie chez ces jeunes, tous plus impressionnant les uns que les autres par leur physique mais aussi par leur regard, des regards insoutenables remplis de haine. Ce choix dans la distribution est tout simplement brillant et a le mérite de payer sur la qualité du film qui le rend d’autant plus authentique. Afin de saisir le réalisme des tensions carcérales, le réalisateur est allé jusqu’à demander à ses acteurs de se donner des coups réels pour filmer les réactions, juste après. Sauvage.
En 2009, la série Prison Break de Paul Scheuring s’achevait dans un final rocambolesque et la sensation d’être passé à côté d’une excellente série. Dog Pound ne suit pas la même voie que la série qui privilégie l’action, le manichéisme déroutant et les twists improbables. C’est un film qui privilégie la profondeur de ses personnages et leurs rapports à la prison et ses occupants. Avec un côté faux-documentaire, le film saisit parfaitement ce réalisme troublant et ce regard de chien battu de ces prisonniers, enfermés et condamnés à ne plus jamais vivre comme avant. Cette mise en scène apporte une véritable ambiance éprouvante au film et accentue l’immersion du spectateur. Dans la prison d’Enola Vale, les occupants y sont, pour la plupart, puérils et totalement machos. Angel et Davis sont encore très vulnérables, vivant sans cesse dans la crainte de subir des altercations, des humiliations de la part d’autres détenus. Kim Chapiron s’interroge sur le sort de ces jeunes, sur les dégâts psychologiques que peuvent engendrer la vie derrière les barreaux. Le milieu dans lequel ils sont enfermés dévoilent lentement les composantes quotidiennes inhérentes à la prison: que ce soit les problèmes de ces jeunes adolescents, leur loisirs, leurs sujets de discussions (le plus souvent grivois et puérils), mais aussi la violence qui anime les détenus. Kim garde toujours à l'esprit que ce ne sont encore que des enfants, et que c’est probablement un échec en soi si la seule solution trouvée pour eux, c'est de les enfermer ici.
Au-delà des scènes d’action, Kim Chapiron imprègne à son film une violence psychologique insoutenable. Chaque plan confère une atmosphère bestiale et donne l’impression que l’enfermement de cette jeunesse va exploser à un moment ou à un autre. Il n’y pas de manichéisme dans ce film. L’intrigue n’oppose pas les prisonniers et les gardiens de prisons (à qui on leur attribue souvent une étiquette d’ordures assouvissant une certaine soif de pouvoir et de domination). Le réalisateur s’attache davantage à la thèse selon laquelle l’environnement conditionne l’être humain. C’est à travers cette thèse qu’il fait une dénonciation des limites d’une société qui préfère enfermer ses délinquants plutôt que de les aider réellement, à l’inverse on voit que les tentatives de réhabilitations s’enchainent mais n’aboutissent à rien. Kim Chapiron n’apporte pas de solution mais pointe davantage les problèmes inhérents à nos sociétés, demandant une discussion et une réflexion sociétale. Dog Pound se termine sur une émeute tout en apothéose. Kim Chapiron illustre avec ce dénouement le manque d’espoir, l’oubli et le manque de reconnaissance de ces jeunes complètements oubliés de la société.
Manquant sensiblement d’originalité et remake presque plan par plan du film d’Alan Clarke, Dog Pound reste néanmoins un très bon film et surtout une œuvre percutante. Les conditions de travail de son équipe ajoutent une véritable valeur à un genre qui renaît et offre un nouveau regard sur le milieu carcéral. L’aspect faux-documentaire du film apporte une immersion et un réalisme saisissant. Du cinéma efficace qui invite à la réflexion et laisse la désagréable sensation d’un film psychologiquement violent et perturbant à regarder. Dog Pound rentre aisément dans le nouveau registre cinématographique de la prison, qui se veut plus réaliste et que certains appellent : La Prison Moderne.