“Tous les films sont des rêves, mais certains un peu plus que d’autres.” (David Lynch, Décembre 2001)


Quelques semaines avant la sortie de Donnie Darko, le roi du mindfuck movie, David Lynch, sort son chef d’œuvre Mulholland Drive. Et nous avons donc durant un même mois d’octobre 2001, les sorties de deux films dérangés, dérangeants, bizarroïdes, complètement fous, qui laisseront une marque indélébile dans le paysage cinématographique, et qui plus est, ce sont deux films géniaux. Déjà, on voudrait vivre dans ce monde parallèle où des chefs d’œuvre fantastiques sortent à la pelle et sont même reconnus. L’un d’eux reçoit une palme d’or, l’autre devient l’un des films les plus cultes des années 2000. Tout ceci ne peut pas être réel. Surtout, quand on sait que Princesse Mononoké ou encore A-I Intelligence Artificielle sortent aussi ce même mois d’octobre 2001 (le Journal de Bridget Jones aussi !). Comme quoi, il y a bien un moment où rêve et réalité se rencontre. Mais un film comme Donnie Darko ne pouvait sortir que dans un contexte aussi exceptionnel, aussi incongru, pour exister pleinement. D’abord, parce que personne n’est allé voir ce film à sa sortie à cause d’un crash d'avion présent dans la bande-annonce (quelques semaines après le 11 septembre) et donc une toute petite promotion. C’est un échec à sa sortie. Mais le film sort aussi dans un temps où le DVD se démocratise, ce qui permet aux films d’avoir une deuxième vie plus longue, et surtout beaucoup plus glorieuse en ce qui concerne Donnie Darko, qui devient culte. C’est une révolution que vie le monde du cinéma, et Donnie Darko naît en plein dedans. Curieux alignement des planètes pour ce film qui naît dans un monde en total changement au niveau géopolitique, ou technologique. D’autant plus curieux que ce film est plus ou moins un film sur les alignements de planètes.


Introduction trop longue pour une œuvre qui aurait besoin directement d’une analyse en profondeur de son matériau tant elle foisonne de détails, sans tergiversation comme maintenant. Donnie Darko traite de beaucoup de sujets : l’adolescence, la maladie, le rêve, la solitude, la religion, la folie, le temps, la vie et la mort, le sacrifice... Ce film est d’une grande densité effectivement. Et là, le rapprochement avec Lynch peut se faire autrement que simplement avec une date de sortie de film. En effet, cette histoire alambiquée aux personnages si étranges dans une petite bourgade bourgeoise n’est pas sans rappeler certaines œuvres du réalisateur d’Eraserhead comme Blue Velvet ou bien sûr Twin Peaks. Et puis on retrouve ce foisonnement, cette folie, qui reste très naïve. Je suis persuadé que Richard Kelly est un fan de Twin Peaks d’ailleurs tant certains passages semblent faire écho à la géniale série (Grand-mère-la-mort est clairement une Log Lady, et puis l’omniprésence du feu, la nature, ce lycée dans lequel apercevoir Bobby Briggs ne m'aurait pas étonné; résonances possibles parmi d’autres...). Ensuite, il y a l’inévitable confrontation du rêve et de la réalité, qui voit son apothéose avec Mulholland Drive chez Lynch, et ici chez Kelly. La barrière se brise entre les deux, on n'y comprend plus rien, et c’est très bien comme ça, c’est même beaucoup mieux.


Je ne vais pas prendre partie parmi les théories de fans pour essayer d’expliquer le film, mais en général, quand il y a autant d’engouement autour d’un film pour essayer de trouver son sens, cela en dit assez sur le film en lui-même et sur l’impact qu’il peut avoir. Je préfère rester dans le camp des “j’ai pas tout compris, mais c’était quand même très bien”. On va simplement essayer de défricher tout cela. En plus de briser cette fameuse barrière entre rêve et réalité, Kelly brise aussi la barrière entre vie et mort. Une partie du film tourne autour de la question de savoir si la vie n’est pas la mort et inversement, et de comment savoir si ce que nous considérons comme la vie n’est pas la mort et inversement. Bref, quelque chose comme ça. On peut penser au Sixième Sens de Shyamalan, ou même au Portrait de Jennie de 1949 (Encore une coïncidence d’ailleurs car j’ai découvert ce film 2 jours après avoir vu Donnie Darko, et il est très intéressant (et amusant) de voir les deux films successivement. Regardez Le Portrait de Jennie, c’est très très bien). Évidemment, il y a la notion du sacrifice qu’il y aurait à développer. Mais je ne vais pas le faire pour ceux qui n’ont pas vu le long-métrage. Et les autres comprendront. La séquence finale est si belle. Mais elle l’est d’autant plus quand on apprend à connaître le personnage de Donnie Darko, et sa solitude.


Donnie est profondément seul, et il a peur d’être seul. Sa maladie ne l’aide pas vraiment dans sa quête de compagnie. Pourtant, il a une famille aimante, une bande d’amis, tout ce qu’il faut pour ne pas se sentir seul. Pourtant, quand on lui demande s’il se sent seul, s’il est seul, il répond : “je ne sais pas” et refuse de se poser encore la question. Comme si se poser cette question avait été la cause de sa schizophrénie. Il sait qu’il ne pourrait jamais vraiment savoir s’il est seul, si le monde qui l’entoure est réel, existe, s’il est le seul existant au milieu de ténèbres. Ces questionnements cartésiens, voir existentialistes, qui le poussent dans sa tristesse, le montrent comme un personnage seul, et paradoxalement se morfond dans cette solitude alors qu’il en a peur (le film repose de toute manière sur des paradoxes qu’ils soient temporels ou émotionnels.). Il ne veut pas mourir tout seul.


Et la seule manière qu’il a de ne pas mourir seul, c’est de se sacrifier pour ceux qu’il aime, et donc de mourir, histoire de faire mentir cette fichue grand-mère philosophe du voyage dans le temps sur le fait que tous les êtres de cette planète meurent seuls.


Et puis ensuite, il y a des histoires de voyages dans le temps et de paradoxes temporels. Je n’ai pas forcément cherché à comprendre parce que finalement, Donnie Darko n’est-il pas simplement l’histoire d’un garçon qui avait peur de mourir seul.

FlavienDelvolvé
9

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le 1 août 2019

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