Un peu comme pour Cassavetes ou Kubrick, je n'arrive pas à aimer le cinéma de Jim Jarmush tout en étant conscient de ses qualités. Si les premiers proposent quelque chose d'indéniable, à travers leur "mise en scène" (par la théâtralité, le discours ou la forme), il y a une froideur, une distance mise avec le spectateur qui ne me plaît pas. C'est un peu pareil avec Jarmush, sans l'aspect indéniable qui pourrait me fasciner indépendamment de mon appréciation.
Je vois un pattern récurrent dans les quelques films que j'ai pu voir de l'auteur (toutes les fictions à partir de Dead Man, plus ce Down by Law), c'est qu'il semble chercher à transformer la misanthropie et / ou solitude de ses protagonistes en empathie pour quelques autres - l'art intra-diégétique ainsi qu'une tacite philosophie sur l'existence, comme vecteurs de rencontre, d'échange et d'évolution. Le décor dépouillé permet de refléter la mélancolie des personnages, tout autant qu'il donne un sens légèrement plus politique à leurs pérégrinations existentielles. L'histoire est donc, toujours réduite à un prétexte ce qui est bien sur, loin d'être un problème puisque le scénario s'avère toujours être riche de sens, notamment grâce aux personnages... Ceux-ci seront en outre incarnés par des acteurs-aura, nettement plus évocateurs et poétiques qu'une qualité brute d'interprétation. Car le langage du film passe beaucoup par une certaine sensorialité, transmise certes par les acteurs et l'imprévisibilité des comportements, mais également par la très aboutie esthétique des films (fantastique N&B dans Down by Law). Une esthétique qui, si elle enveloppe décors et personnages, n'accompagne que superficiellement et grossièrement le propos. Ainsi, chacun de s films de Jarmush, en fonction de ces divers aspects, possède une ambiance qui lui est propre tout en s'inscrivant dans une certaine continuité.
Donc il y a une vraie richesse dans les films Jarmush, pourtant je n'y suis pas sensible. C'est pas une question de rythme, ou de sujet, mais plutôt d'empathie. Il y a pourtant énormément d'œuvres ou l'empathie n'est pas évidente, mais compensée par exemple, par la mise en scène et en images. Je pense au Fils de Saul ou à The Assassin par exemple, ou la sensorialité transmet de l'empathie (pour un discours ou une intimité), alors que l'histoire du film ne l'autorise pas. Avec Jarmush, je perds mes repères. Si empathie il y a, celle ci n'est jamais vraiment dirigée vers les personnages, auxquels il est presque impossible de s'identifier, mais envers la relation singulière qu'ils peuvent entretenir entre eux, lorsque s'entrechoquent leurs vides intérieurs. Alors seulement, tardivement, naît de l'indifférence et de la distanciation une certaine beauté, pas suffisante dans mon cas pour mettre en perspective un sentiment premier. Reste tout de même dans Down by Law comme dans ses autres films, quelques très (très) jolis moments. Ici, à partir de la rencontre entre Benigni et les deux autres : la chanson, la fuite dans le marais, le dîner, la fourche; moments qui toutefois n'ont pas suffit à me réconcilier avec le film.