Une question se pose à la fin du film, quant à son appréciation : les deux heures assez molles valent-elles le détour à la lumière de la seule scène très intéressante et vraiment réussie de "Du rififi chez les hommes", à savoir la demi-heure consacrée au casse d'une bijouterie ? Réponse mitigée pour ma part, la balance penchant plutôt en sa défaveur étant donnés certains aspects un peu poussiéreux qui ont mal voire très mal vieillis. Un exemple parmi beaucoup d'autres : la misogynie omniprésente (bonjour les tartes dans tous les sens et autres corrections expresses, la dimension de simple mobilier décoratif, et le spectacle de music-hall assez pitoyable indépendamment de toute considération morale). Les personnages féminins ne brillent clairement pas par leur profondeur ni par leur force de caractère, et quel que soit le contexte, quelles que soient les grilles de lectures plus ou moins anachroniques, ces aspects ne jouent pas en la faveur du film mais au contraire le plombent.


Bien sûr, la longue séquence du casse à proprement parler est géniale et vaut à elle seule, à mon sens, le détour. Trente longues minutes minutieusement mises en scène, dans le registre du cinéma quasiment muet, à l'intensité allant crescendo grâce à un environnement sonore uniquement constitué des bruits diversifiés de ces quelques artisans à l'œuvre. Cette rupture sonore est particulièrement marquante, et efficace. La minutie des opérations autour de la bijouterie préfigure évidemment celle que Jacques Becker mettra en œuvre en 1960, dans le contexte d'une prison, dans "Le Trou". Une séquence vraiment éprouvante, où chaque coup de burin et chaque tour de scie circulaire renforcent encore un peu plus la tension propre à l'action. Après la période de repérage des alentours pour mettre en place le plan, l'accent est mis sur la nécessité de rester le plus silencieux possible au cours de l'opération. Aussi, les quatre cambrioleurs déploieront de nombreux stratagèmes : chaussons molletonnés pour tous, maillet enveloppé dans un épais tissu, parapluie retourné pour récupérer les gravats en-dessous, mousse d'extincteur pour paralyser l'alarme (la "bonne idée" un peu datée du film), et tout un matériel de pointe pour percer le coffre final. Du travail de pro, évidemment.


Mais en dehors de cette partie généreuse, relatant une ingéniosité certaine (quoique désuète par moments), il faut se farcir tout le reste et c'est un sacré morceau à avaler : autant dire que le casting et le son en post-synchronisation n'aident pas à faire passer tout cela en douceur. Même le scénario ne brille pas par son originalité ou sa finesse tant les clichés du genre sont légion : un vieux gangster sur le retour, le dernier casse (de trop, forcément), l'erreur du maillon faible de la bande, les règlements de compte généralisés, etc. Beaucoup de banalités en définitive, et Jules Dassin himself en Italien aux doigts de fée (sous pseudonyme au générique) ne nous sortira pas vraiment de cette torpeur. La toute dernière partie non plus, en dépit d'une tentative de poésie bienvenue lors d'une virée en voiture dans les rues de Paris, avec un homme à moité mort et un enfant à ses côtés. On gardera cependant en mémoire un certain talent pour le mélange des genre et pour l'illustration d'un carnage.


[AB #173]

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le 21 déc. 2016

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Morrinson

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