Ce film m'a agréablement surpris. En effet, si je ne suis pas spécialement fan des oeuvres magistrales de Spielberg, il faut reconnaître que son premier long-métrage est diablement réussi. Non seulement il est le fruit d'une nouvelle elle-même inspirée de faits réels digne de Hitchcock, mais en plus elle est réalisée avec de très faibles moyens, pour la télévision à l'origine. Ainsi, point d'artifice, point de commerce et point de superficiel : le film va à l'essentiel sans se grimer d'atours détestables. Dans l'ouest sauvage américain serpenté de routes goudronnées infinies, ponctuées de spots et d'étendues sauvages, un homme et sa jolie voiture se retrouvent être la proie d'un camion citerne énormissime, effrayant, presque "démoniaque" dont le conducteur n'a pas de visage. L'élément le plus terrifiant du film réside dans le fait tout simple de la totale gratuité de la violence du camion dont les phares évoquent les yeux jaunes du prédateur. Il n'y a aucune raison dans ce film, aucune rationalité ce qui permet deux constatations : il n'y a AUCUNE explication à ce qui se produit & toutes les explications sont possibles. Cela laisse un champ d'interprétation presque totalement libre au spectateur qui peut envisager les hypothèses les plus extravagantes et les plus ridicules : mais qu'importe l'hypothèse, c'est le fait de chercher qui provoque le plaisir. Ce suspens mêlé à cet indissoluble mystère rend au film tout son talent.
Evidemment, on ne peut pas évoquer le film sans tenter de toucher du doigt, disons même "effleurer" l'essence de ce qui fait ce film : la machinisation du western. Si les thèmes du western sont là, le duel met aux prises une petite voiture rouge et un camion colossal, comme deux héros du temps moderne remplaçant les authentiques hommes virils cavaliers d'antan. Bien triste substitution. Si le camion se résume à lui-même à tel point que n'est pas visible son conducteur, c'est que le camion n'a d'autre vocation que d'être lui-même, comme une conscience à part. Quant au protagoniste quasi-unique, il ne semble pas pouvoir subsister longtemps sans sa petite voiture, comme si elle était l'extension de sa conscience. Comment ne peut pas alors penser aux guerres mondiales, à la dronisation guerrière, à la robotisation du monde ou à la perte de virilité de l'homme moderne se cachant derrière les mécaniques fumantes des véhicules ? Après, comment peut-on être même sûr d'un prétendu message caché derrière ce film ? On pourrait y voir la liberté américaine, symbolisée par ses routes, entravé par un énorme boulet noir que représenterait le camion. Grande question d'une quête de sens qui n'aurait en l'espèce pas lieu d'être.
Le film est pourtant très modestement fait, et cela mérite d'être salué. 13 jours : c'est en tout et pour tout le temps qui lui a été accordé. D'abord à la télévision, en suite au cinéma, des scènes ont été tournées après coup ce qui rend le film parfois bourré d'incohérence et de raccords hasardeux dont on peine à trouver la logique ou la cohérence. Ce jeu presque malsain ne semble là pas encore épouser ce standard rationnel et philosophique du rapport cause/conséquence. Pourtant, tout colle. Le suspens est à son comble, les plans sont puissants et le jeu des acteurs glauque et bien pensé. En somme, le film a un charme qui réside en un seul mot : concept. Le film a trouvé une idée tellement géniale qu'elle réussit à transcender l'ensemble de l'oeuvre et à faire briller les moindres défauts. Comment ne pas adhérer directement à cette idée nihiliste d'un camion poursuivant sa proie sur les routes de Californie ? Le film est artisanal, il n'est pas dans la production insistante et la promotion infinie : il est taillé avec les moyens du bord, un grand nombre de bonnes volontés et des rudimentaires techniques. Tout cela rend très bien : à voir !