Dune de perdue, kitsch de retrouvé

David Lynch pouvait-il se douter qu’au sortir d’Eraserhead et Elephant Man, deux longs-métrages inauguraux l’ayant déjà consacré, celui-ci irait au-devant d’une amère déconvenue, le genre de celles qui vous poursuivent ad vitam aeternam ? Qualifiée de « chagrin d’amour » selon ses propres dires, cette expérience maudite fut donc le fameux Dune, l’adaptation du premier roman du cycle de Frank Herbert cochant de fait toutes les cases de l’échec cuisant… un titre des plus adéquats pour cette six cent soixante-sixième critique en somme.


Néanmoins, il convient de souligner sans ambages la dimension culte qu’endosse à n’en plus finir Dune, qui sera parvenu contre vents et marées à se bâtir une aura intemporelle. Remis en lumière à l’orée du futur opus à la sauce Villeneuve (fort appétissant au demeurant), ou voici quelques années au gré du documentaire Jodorowsky’s Dune, tout semble concourir à en alimenter le mythe : à titre personnel, je conserve de mon enfance un souvenir plutôt net de la mort sauvage de Rabban la Bête, le genre d’image confinant lentement, mais sûrement, à la fascination.


Seulement voilà : Dune ayant été un joyeux bordel à produire, les coupes en pagailles et montages alternatifs existants sont aussi bien sources d’opacité que vecteurs de sa légende. Et Lynch ayant surtout renié la version étendue réservée au petit écran (Judas Booth vous salue), il paraissait naturel de se pencher sur le theatrical cut : toutefois, le dilemme n’avait pas vraiment lieu d’être car faute d’un réel Director’s cut, aucun rendu n’aurait été à même de vraiment rendre hommage au travail du cinéaste. Dans les circonstances présentes, point de décapitation donc (reléguée en hors-champ anecdotique) et une frustration naissante : le tableau ne pouvait pas être davantage « prometteur ».


Mais quelle meilleure traduction du problème que ces satanées voix-off, elles qui n’auront de cesse d’accompagner personnages et spectateurs de bout en bout ? Sur-commentant littéralement l’action, celles-ci ont d’abord pour tare de mettre à nu leurs intervenants et leurs réflexions, sapant par voie de fait toute subtilité et degré d’interprétation. L’artifice prend ainsi rapidement des allures de béquille pataude, d’autant que l’introduction très académique de la princesse Irulan donnait le ton : celle-ci n’aura d’ailleurs aucun poids dans le récit par la suite, de quoi conforter la thèse des pansements appliqués en catastrophe, dont la propension « spoilante » prend clairement le pas sur ses prétendues vertus explicatives.


Car, il faut bien le reconnaître, la complexité de l’univers de Dune transpire malgré ce vernis pédagogique : et si nous devinons que le long-métrage ne fait qu’en reprendre les axes majeurs, il y a tout de même matière à en percevoir la richesse par la simple évocation de ses nombreuses factions. Pas loin de s’échouer dans un name-dropping confusant, l’intrigue demeure donc ici relativement limpide, pour ne pas dire d’une simplicité enfantine une fois ses enjeux (d’alliances) intériorisés : à ce propos, une fois les hostilités pleinement engagées sur Arrakis, nous assistons une à nette détérioration de ces derniers, le semblant de palpitant auparavant instauré s’effondrant à l’aune d’une prévisibilité significative.


Dune va en effet lâcher les chevaux, sa tenue correcte se déliant tel l’énième symptôme d’une production malade. De fait, notre intérêt décroît en flèche tandis que Paul multiplie les allocutions et introspections hallucinées, pompeuses et fumeuses, marques d’un scénario ayant tôt fait de s’enliser dans une spirale saugrenue. Certes, les signes avant-coureurs pullulaient déjà, mais encore fallait-il distinguer la singularité créative des écueils de ce drôle de souk : difficile à ce titre d’enlever à Lynch et ses équipes son fourmillement d’idées et cette patte graphique hors-norme, dont les élans anachroniques (bien alimentées par le vocabulaire propre à l’œuvre de Herbert) et ses décors fastueux composent un tableau unique en son genre.


Projeté huit millénaires en avant, le spectateur doit ainsi bien admettre du potentiel avorté du tout, à l’instar des travaux préliminaires de Jodorowsky : entre kitsch et futur déliquescent, l’incongruité écœurante des Harkonnens en attestant, Dune pâtit de ses excentricités tout en bâtissant quelque chose à nulle autre pareille… et achève donc de marquer les esprits. À l’instar d’un casting faisant clairement de son mieux, quitte à cabotiner gaiement, tout n’est donc pas à jeter dans cette épopée tronquée : peut-être même que ce film, aussi douloureux soit-il, aura été une bénédiction pour Lynch et la suite de sa carrière polymorphe. Diriger Kyle MacLachlan notamment… j’y mettrai ma main à Cooper.

NiERONiMO
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le 29 avr. 2020

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NiERONiMO

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