De battre mon cœur s'est presque arrêté

S'il est surprenant de voir Christopher Nolan s’atteler au genre du film de guerre, son dixième long-métrage porte autant en lui la marque du renouvellement que celle de l'aboutissement pour le metteur en scène britannique. Quittant un temps son penchant pour la sophistication de ses scénarios retors, il délivre même avec Dunkerque l'exact opposé narratif de ses précédentes œuvres. Très peu bavard, voire mutique (les premières minutes se déroulent de manière quasi-exclusivement muette), le film se passe le plus possible des mots pour privilégier le « show don't tell » permis par un cadre connu de tous, et des enjeux aussi primitifs qu'ils paraissent inatteignables tel que la survie, collective, véhiculée par les hauts-gradés (tout particulièrement le personnage de Kenneth Branagh), mais surtout individuelle. En posant son regard sur différents parcours, ceux sur la plage, sur la mer, et dans les airs, Nolan creuse la notion de survie sous bien des angles, entre héroïsme et lâcheté instinctive loin d'être réprobateur par le spectateur tant l'immersion dans ce chaos cauchemardesque brouille quelconque notion de bien ou de mal. Bien évidemment, on sera tenté de lever les bras en l'air lorsque le personnage incarné par Tom Hardy dézinguera un avion allemand, mais pour autant peu critique lorsqu'il s'agira de juger les actions de soldats prêts à abandonner l'un des leurs pour leur survie.


Avec son mixage sonore étourdissant et le tic-tac incessant de la BO de Zimmer, signant une nouvelle collaboration brillante avec LE réalisateur capable d'unifier sa musique avec les images, Dunkerque sait se doter de grand moyen pour transmettre cette terreur pour chaque bombardement, chaque coup de feu. Tablant uniquement sur le sensoriel pour alimenter sa tension asphyxiante, le film joue sur les extrêmes, l'absence de bruits parasites à l'envahissement sonore d'éléments assourdissants, si bien qu'il résulte de cette expérience quelques sursauts, quand bien même l'on devine la suite des événements. Après Mel Gibson et Tu ne Tueras Point, c'est au tour de Christopher Nolan de nous immerger dans l'enfer de la guerre, à la différence que ce que le premier avait de tape-à-l’œil et démonstratif (avec ces effets gores à foison) disparaît au profit d'une violence entièrement psychologique (bien que la menace soit on ne peut plus tangible) fondée sur une mise en scène à l'approche très intimiste. On retrouve à ce titre certains des gimmicks de Nolan, notamment dans la captation des séquences aériennes très proches de ce qu'on avait pu voir dans Interstellar ou encore dans l'épilogue monologué cependant amené avec une moins bonne fluidité qu'à l'accoutumée. Entièrement axée sur l'action et la fuite (excepté dans le cas du navire de plaisance), Dunkerque ne laisse du répit pour personne, condense au maximum pour éviter les chutes de rythme, et pousse toujours plus loin l'angoisse du spectateur, si tant est qu'il puisse être réceptif à l'exercice de style proposé, ce que le désir de réalisme cher au réalisateur vient rendre possible. On excusera les quelques ratés au niveau de la lumière face à l'urgence véhiculée par ces plans minutieusement construit dans leur durée et cette impression de rush lors des séquences les plus spectaculaires, reléguant au second plan l'art de la composition pour saisir la panique chez les personnages. Mais plus que n'importe lesquelles de ces idées visuelles, le britannique brille surtout une nouvelle foi par sa science du montage, et son aisance à juxtaposer les timelines.


Dans son étude d'un suspense total et anxiogène, Nolan continue de morceler sa temporalité, ici en trois parties distinctes qui viennent à se rejoindre peu à peu. L'effet pourrait être vain s'il ne trouvait pas sa justification dans la tension palpable qu'il révèle, dans son climax notamment, où survolent au-dessus des personnages les plus principaux la question de savoir s'ils sont toujours en vie ou non. Alors, Dunkerque, qui n'en avait en surface pas l'ambition, affirme une dimension émotionnelle sans jamais pourtant s'intéresser réellement en ses personnages guidés par le même but et la même peur. En nous plongeant de la manière dont il le fait dans l'opération Dynamo, sans ménagement, le metteur en scène ne réalise pas seulement un bijou de tension assourdissant, mais également une plongée dans l'angoisse à l'état brute par l'identification à tous les protagonistes, sans exception. Face à cette menace invisible que représente les allemands tout au long du film, le spectateur se retrouve avec Dunkerque devant ce qui s'apparente le plus à un film d'horreur : celle de la guerre. Et malgré ça, dans les pires situations, l'espoir jaillit, le soulagement aussi. Le tic-tac s'arrête, le compte à rebours cesse avant l'instant fatidique pour ses personnages, et laisse place au silence. Le cœur peut reprendre son rythme normal.

-Icarus-

Écrit par

Critique lue 812 fois

21
9

D'autres avis sur Dunkerque

Dunkerque
Sergent_Pepper
4

Sinking Private Nolan

Voir Nolan quitter son registre de prédilection depuis presque 15 ans, à savoir le blockbuster SF ou du super-héros, ne pouvait être qu’une bonne nouvelle : un écrin épuré pour une affirmation plus...

le 22 juil. 2017

200 j'aime

37

Dunkerque
guyness
4

Effets de Manche

J'ai pleinement conscience de l'extrême prudence, de la taille des pincettes qu'il me faut utiliser avant de parler sans enthousiasme excessif d'un film de Christopher Nolan, tant ce dernier a...

le 22 juil. 2017

178 j'aime

56

Dunkerque
Halifax
9

La Grande Evasion

La jetée, une semaine La mer, un jour Le ciel, une heure Trois lieux, de multiples histoires, un seul objectif : s'échapper pour survivre. Christopher Nolan ne s'embarrasse pas de contexte. Puisque...

le 18 juil. 2017

160 j'aime

8

Du même critique

The Voices
-Icarus-
8

Le chat, cet enfoiré

Je hais les chats. Et malheureusement, ma mère ne partage pas ce sentiment. C'est donc, depuis maintenant 7 années, que je me coltine un félin gras du bide incarnant l'archétype du chat, le vrai, pas...

le 13 mars 2015

77 j'aime

22

8 Mile
-Icarus-
9

I'm only 18 but my writing's old

Depuis quelques temps déjà, je rencontre certaines difficultés auxquelles je n'espérais jamais avoir affaire pendant ma période d'activité sur ce site, liées à ce qu'on pourrait en quelque sorte...

le 23 janv. 2016

63 j'aime

2

Comment c'est loin
-Icarus-
6

Greenje et Orselane

Avec Bloqués, Orelsan et Gringe avaient déjà franchi l'étape de la transposition de leur univers musical à l'écran, fait de vannes douteuses et de sujets de conversations à côté de la plaque. Le...

le 25 nov. 2015

59 j'aime

15