Et vive l'Amérique ! Euh... l'Angleterre !

Je ne partais pas très confiant pour ce Nolan, réalisateur qui bien qu'il ait été important pour moi à un moment donné, m'exaspère de plus en plus. Savoir que son prochain film était un film de guerre était intriguant, un événement historique pour celui dont le travail repose essentiellement sur l'élaboration de scénarios à rebondissements m'a un brin déphasé. Cela dit il fallait s'attendre à du spectacle, dans le sens où tout serait réalisé en vrai et vu l’ampleur de l'événement il y a quelque chose d'impressionnant. Les bande-annonces ne donnaient pas envie mais promettaient un film proche de ses personnages, à échelle humaine.


Comme toujours avec un film de Nolan il y a plein de choses à dire parce que le bon se confond avec le mauvais. Ici le film ne rempli pas ses promesses, d'ailleurs il les abandonne en cours de route. En fait la première partie du film est intrigante et pas inintéressante, la deuxième ennuyeuse et stupide.


L'idée de Nolan c'est d'illustrer la guerre dans une vision métaphysique et un brin romantique de celle-ci. J'en veux pour preuve les cartons d'ouverture qui placent tout de suite l'arrivée des Anglais sur le plan du miracle. C'est lourd, très, déjà vu et bêtement patriotique. Encore une fois Nolan prend son spectateur pour un con. Il l'a toujours fait, avec ses séquences très explicatives, où tout doit avoir un sens rationnel et logique allant jusqu'à briser les moments de poésie qu'il instaure involontairement.


Ici l'approche métaphysique est visuelle et sonore, je salue la démarche. Il y a la magnifique photographie de Hoyte van Hoytema, chef opérateur qui s'est imposé en quelques films comme déjà un des plus grands de la nouvelle génération. Il faut voir les filtres qu'il utilise, sa manière de filmer le soleil, ses références picturales, c'est somptueux et profond. Dès les premières images on est impressionné. Cette ville quasiment vide, des images hallucinantes, brumeuses, énigmatiques. Et tout le début du film dégage ça, avec ces personnages mutiques, un sens réel du cadre (qu'on ne pourra pas lui enlever), cette sensation de déambuler en plein cauchemar. Et puis on passe par tous les éléments, qui semblent se déchaîner contre les soldats.


En fait le film veut jouer sur tous les tableaux et forcément il n'en réussit aucun. L'absence réelle d'antagoniste dans le film, le caractère elliptique et contingent du récit, cette menace fantomatique, d'avantage incarnée par les coups du destin et la volonté de Nolan dans toutes les séquence de sauver gracieusement ses personnages en refusant presque catégoriquement de filmer des morts mais instaurant davantage une ambiance mortuaire avec des visuels post-apocalyptiques et crépusculaires, ainsi qu'un travail sur le son et la musique qui tente de parfois de dégager une profondeur métaphysique à l'ensemble. Malheureusement Zimmer n'est pas Arvo Part, et ce tâcheron ne saura toujours pas faire mieux qu'une accumulation de basse surrounds, Nolan de son côté n'ayant toujours pas compris comment fonctionnait une table de mixage.


Ce postulat métaphysique pose un problème politique qui n'est pas totalement résolu. Il n'y a ni identité ennemie, ni identité des morts, ni identité civile (sauf quand il s'agit des sauveurs). Alors effectivement, pour les personnages c'est le cas, on ne connait pas les morts, on ne sait pas contre qui on se bat et on ne sait pas qui on défend. Mais du coup ça pose pas mal de problèmes et quand on connait le penchant conservateur de Nolan il est évident que ce n'est pas anodin, on a ici confirmation (si besoin était) de son mépris politique : les protagonistes eux-mêmes n'ont pas d'identité. Parce que le film délaisse totalement la proposition métaphysique d'un affrontement entre les hommes contre des forces qui les dépassent (incarnées par la machine et la nature, réunies sous le signe du destin et dans sa vision chrétienne de Dieu), pour se rabattre dans toutes la seconde partie sur des proposition politiques. Or elles sont assez vaines, attendues et manichéennes (on lui connaissait déjà ce talent). Car effectivement tous les sauveurs sont de bon aloi et bien piètres personnages sont ceux qui abandonnent leurs camarades en ces temps difficiles. La succession de fins toutes plus heureuses les unes que les autres dans une bouillie infâme de patriotisme bas du front soulignant dès que possible que les anglais sont les sauveurs descendus du ciel est parfaitement indigeste. Ceci accumulé à l'ennui global qui se dégageait du film et des événements aussi platement traités que téléphonés, utilisés pour du sensationnel où la musique sert à exploiter émotionnellement les situations aussi médiocrement qu'un Spielberg, et je ne parle même pas des montages parallèles à la subtilité pachydermique... Il va sans dire que contrairement aux anglais, il n'y a plus grand chose à sauver.

Rubedo
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le 19 juil. 2017

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