Sans réaliser le meilleur film de sa carrière, Christopher Nolan réalise, avec Dunkerque, un petit bijou à classer aux côtés des plus grands films de guerre dont ont su nous abreuver Coppola, Malick et autres Spielberg. Toutefois, ce ne sont pas les barouds d'honneur, les séquences de contemplation spirituelle, ni les moments de bravoures soulignés à grands renforts de pistes musicales tire-larmes qui laissent ici sans voix. Ce qui rend ce nouveau long-métrage de Nolan aussi haletant - hormis sa durée étonnamment courte - c'est surtout cette retranscription crue et mécanique d'une survie poisseuse et hasardeuse. Que ce soit sur terre, sur et sous mer, ou dans les airs, aucun répit n'est laissé à ces soldats - britanniques, pour la plupart - captés par une mise en scène absolument grandiose.
En effet, Nolan profite pleinement des caméras Imax pour offrir une plongée vertigineuse dans cette reconstitution réaliste d'une opération militaire de la Seconde Guerre Mondiale. Plus encore, l'utilisation presque systématique de maquettes ou modèles (reconstruits) des véhicules de guerre offre une tangibilité non négligeable aux images déjà très évocatrices. Les plans larges sont saisissants tant la minutie a été apportée aux détails d'époque. Par ailleurs, la photographie chirurgicale de Hoyte van Hoytema est des plus somptueuses, dans ces tons mornes, froids, mais très ciselés, pour apporter ce sentiment anxiogène de rats prix au piège. On note quelques changements intrigants dans la captation et luminosité de certaines scènes, surtout dans les cockpits.
C'est, au final, un réel exercice de style dont accouche le réalisateur britannique puisque Dunkerque est très peu bavard et tend à transmettre l'essentiel de son développement par le biais de l'image. Nolan cherche ainsi à créer une expérience sensorielle et visuelle pour le spectateur, et il y parvient en grande partie grâce au travail expérimental d'Hans Zimmer, en charge de la BO. Si le design sonore est d'ores et déjà incroyablement immersif et époustouflant, les compositions électroniques et percussives de Zimmer, toutes en panique et tension, ajoutent une véritable dimension supplémentaire à l’œuvre, la transformant ainsi en un total opéra de déroute militaire, façon minuterie fataliste.
Précisons également que l'on tente de se raccrocher à ce que l'on peut car, une fois n'es pas coutume, Nolan met son grain de sel dans ce qui pourrait être un classique film de guerre pour proposer un long-métrage à la structure déconstruite. On vit les événements de trois points de vue, et trois lignes de temps différentes (une semaine sur terre, un jour sur mer, une heure dans les airs), sans pour autant connaître ni s'attacher aux personnages. Le montage et l'absence relative de charge empathique désarçonnent donc totalement de prime abord, et appellent évidemment à un visionnage ultérieur pour bien saisir les actions des personnages dans les entrelacs des lignes temporelles.
Alors, quand bien même l'émotion est très faible, tant la technique est mise en avant, ou que quelques inexactitudes peuvent faire polémique, ou bien que le point de vue soit exclusivement anglais, on ne peut que rester admiratif d'avoir un film d'auteur de cette ampleur. Dunkerque est sans conteste une œuvre sincère et accomplie, dont la vision artistique supérieure de Nolan ici donne toutes ses lettres de noblesse au mot Cinéma, et récompense amplement le déplacement dans les salles obscures pour vivre ce long-métrage assurément marquant.