Le titre, Easy rider, a un double sens : on peut le penser au sens littéral, celui qui chevauche sa moto avec facilité. Le film montre en effet cela, dans de longues séquences évoquant les westerns de John Ford, sur de la country ou de la folk américaine. Ces séquences évoquent bien sûr la liberté. C'est le premier sujet du film : comment de jeunes gars qui, plus que revendiquer, incarnent la liberté - une liberté symbolisée par les cheveux longs - se confrontent aux Etats-Unis. Dans une très belle scène, George (Jack Nicholson, irrésistible de folie... du niveau d'un Mitchum, et pas encore trop cabot) explique à Billy que ce que le pays rejette n'est pas la prétention à être libre, mais l'image vivante de la liberté elle-même, qu'ils représentent tous les trois. Peu après, George sera lynché par une bande de gars du coin, dans une scène très brève, elliptique. Hypocrisie : l'Amérique se prétend le pays de la liberté mais ne la supporte que comme idée, pas comme incarnation. La religion, à cet égard est omniprésente, comme refuge hypocrite. Mais pas seulement, et il faut mettre cela au crédit du film, qui ne tombe pas dans la facilité : on en voit aussi les aspects positifs, avec le fermier à la famille nombreuse, si accueillant, en début de film, puis dans cette communauté hippie animée par une foi réelle.


Mais "easy rider" désigne aussi une sorte de maquereau, qui se laisse entretenir par une femme. Le film se veut en effet amoral : nos deux héros se sont enrichis en vendant de la drogue, ils en consomment et en transmettent sans scrupule.


Pourtant, tous deux nous apparaissent comme de braves gars, doux comme des agneaux. On les voit vanter la réussite d'un fermier qui mène une vie simple, jouir de soirées autour d'un feu, faire confiance à un inconnu pris en stop, assister à une prière collective, se baigner dans une rivière avec deux jeunes femmes, tous nus sans que quoique ce soit se passe. Même côtoyant des prostituées, ils ne "consomment" pas. Et s'ils se font emprisonner, c'est pour une bravade potache, avoir défilé avec leurs motos aux côtés des majorettes.


Des doux donc, qui vont subir la brutalité d'une Amérique pétrie d'intolérance. La plus belle scène, à cet égard, se déroule dans un bar où les gens du coin ne tardent pas à se montrer haineux, tandis qu'une pléiade d'adolescentes est en pâmoison devant ces trois types "trop stylés" comme on dirait aujourd'hui. La scène a été tournée avec les vrais autochtones, qui ont improvisé leur texte, et la haine qu'ils donnent à voir est bien réelle ! Cette scène annonce bien sûr la fin, aussi sèche qu'absurde, lorsqu'un automobiliste dégomme froidement nos deux héros, sans autre raison que leurs cheveux longs semble-t-il.


Formellement, le film est inventif : zooms rapides, montage alterné faisant apparaître des images comme des flashs, jeu sur la texture de l'image (dans la scène du carnaval), scènes audacieuses (celle tournée juste en dessous d'une piste d'atterrissage par exemple). Et la scène de bad trip à la Nouvelle Orléans, dans un cimetière, tente avec audace de traduire ce que ressentent les personnages. L'oeuvre mêle aussi habilement réalité et fiction, comme pour le carnaval qui a un côté documentaire évident, ou lorsque Hopper demande à Peter Fonda d'évoquer sa mère disparue en enlaçant une statue de la vierge : Peter Fonda a effectivement perdu sa mère jeune, et ses larmes ne sont pas feintes.


Tout cela fait que le film mérite selon moi en partie sa réputation. Ce n'était pas gagné me concernant, sachant que je ne suis pas spécialement amateur de motos ni de musique country et qu'en général je déteste le côté "clip" au cinéma. Comme quoi, il faut parfois savoir dépasser ses réticences...

Jduvi
7
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le 8 mai 2019

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Jduvi

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