Where are you from ?

It’s hard to say.



Inspiré du Fanfaron et jalon originel du Nouvel Hollywood, Easy Rider se caractérise avant tout par sa contestation de tout ancrage, qu’il soit dans la provenance ou la destination, un concept que pousseront encore plus loin Macadam à deux voies et Vanishing Point deux ans plus tard.


La question de la liberté s’affirme dans une trajectoire : criminelle, forcément, puisqu’il s’agit de convoyer de la drogue dans le réservoir, métaphore assez limpide de ce à quoi carburent nos cavaliers d’un temps nouveau ; débridée, aussi, de rencontres en trips, de dissertations en feu de camp sur les territoires d’une Amérique qui dans un premier temps apparaît comme étrangement vide. La route, ligne droite, est la plupart du temps déserte et semble en effet n’appartenir qu’aux chauffeurs qui l’arpentent, une mise en confiance qui a posteriori résonnera comme un leurre face à la menace silencieuse qu’elle présente.


Easy Rider fonctionne sur les contrepoints : formellement disparate, il propose à la fois de longues séquences clipesques à l’origine du mythe hippie, alliance parfaite d’une musique légendaire (Steppenwolf, bien sûr, mais aussi les Byrds ou Jimi Hendrix) et du pur mouvement des choppers, et d’autres presque expérimentales, à grands renforts de cuts ou de zooms brutaux, avant de se laisser tenter par une ambition plus documentaires dans certaines interactions avec les autochtones.


C’est ce libre cours qui caractérise le mieux le vent libertaire véhiculé par le récit : de l’incursion dans une communauté hippie à la participation au Mardi Gras de la Nouvelle Orléans, le voyage permet un panorama sur plusieurs formes de contestations, sociales ou folkloriques. On remarquera cependant que l’intégration ne fonctionne pourtant jamais : condamnés à l’errance, les riders n’investissent les lieux que pour mieux s’en extraire.


Une telle dynamique a ses limites : par les réactions qu’elle suscite (glaciale scène dans le café peuplé de rednecks, mise en bouche d’un final aussi abrupt qu’absurde), et par l’introspection qu’elle génère. Des impasses de la drogue à une tentative de réappropriation profane du sacré lors d’un trip blasphématoire, les personnages abordent avec une telle intensité l’expérience de la liberté qu’ils en hâtent le terme, à savoir la mort. Non pas tant par châtiment que par épuisement existentiel, une mise en cendres de ce à quoi l’incandescente trajectoire aurait pu aboutir. Ils ont l’argent, ils ont le véhicule, et la route devant eux : pourtant, Fonda ne cesse de répéter de façon prémonitoire, peu avant le dénouement, « We blew it » : impossible de savoir ce sur quoi ils ont échoué. L’intégration parmi les hommes ? L’obtention de réponses existentielle quant à leur parcours ?


Comètes en feu dans un monde moribond, les riders n’ont rien d’autre à offrir qu’un sillage lumineux. Se souvenir d’eux, c’est relancer le film, sans penser au terme de la course.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
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le 2 déc. 2016

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Sergent_Pepper

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