Si on veut plomber Eden, le nouveau film de Mia Hansen-Love (putain, mais ce nom ! y a des claques qui se perdent), on peut s'y donner à coeur joie : c'est un sommet de maniérisme pop-hype-bobo-renouveau-du-cinéma-français. Bref, tout ce qui m'insupporte en règle générale, des tics de mise en scène dolaniens insupportables, une esthétique tr0 d4rk de la solitude contemporaine, un fatigant côté générationnel, et de la dilatation narrative (deux longues heures dix) couchée sur du rien.


Rien, un mot qui correspondrait bien au film, toujours sur la brèche de l'arnaque cinématographique, Eden est en effet construit comme un atome : beaucoup de vide, un peu de matière.


Et pourtant ... Il y a bien quelque chose dans le travail de Hansen-Love, au delà de ses relents sous-Sofia Coppola, quelque chose qui fait que parfois, le machin bancal va fonctionner admirablement bien, et même toucher.


A la base, une idée de réalisation sympathique qui va donner du liant, c'est la structuration claire, nette, et explicite en deux parties, grosso modo grandeur et décadence. Le couplet, on le connaît bien, Kubrick faisait la même chose en 1975 dans Barry Lyndon, à sa manière. Je ne pousserai pas plus loin la comparaison saugrenue (et débile), les deux films n'ont strictement rien à voir, je veux juste dire que c'est déjà vu. Et ce n'est pas si grave que ça le soit, après tout, le film ne se vend pas comme un parangon d'originalité. D'ailleurs, cette humilité relative rend déjà Eden plus sympathique qu'un Mommy, au hasard (ou pas, j'aime casser du sucre sur le dos de Xavier Dolanus).


Bref, passons. L'idée n'est pas nouvelle, donc mais elle trouve une articulation intéressante dans le film de Hansen-Love. Dans la première partie (Garage Paradise), les ellipses sont légion, les scènes très courtes, avec des montages séquences façon bande annonce. Habituellement, ce serait plutôt un défaut à mes yeux, parce que ce sont les personnages qui passent au second plan. Mais ici, ça a du sens, parce que l’on sent justement qu’il n’y a aucune emprise du personnage sur son environnement, que tout va à cent à l’heure, que les moments de bonheur sont toujours compactés et écrasés par sa cocaïnomanie. Le dynamisme excessif de la mise en scène trouve un contrepoids percutant en deuxième partie de film (Lost in Music), où justement elle se pose, comme pour représenter cette désillusion. Les séquences s’étirent, la réalisation se calme. Comme une incursion brutale dans la réalité. Et là, ça marche, on s’identifie, c’est même d’une triste beauté, on prend toute la mesure de l’échec du personnage, qui est passé à côté de sa carrière, à côté de sa vie.

Et c’est là que réside toute la sensibilité, à la fois irritante et nécessaire, du film, à mi-chemin entre le grand film dépressif et la purge auteurisante pseudo-portrait d’une génération
Nwazayte
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2014 en images (annotations incluses) et Les meilleurs films de 2014

Créée

le 24 nov. 2014

Critique lue 607 fois

5 j'aime

Nwazayte

Écrit par

Critique lue 607 fois

5

D'autres avis sur Eden

Eden
Sergent_Pepper
4

Refoulés

Si l’on me proposait un chèque, si l’on faisait appel à ma fibre patriotique, si l’on me demandait de défendre la jeunesse du cinéma national, si l’on me menaçait avec un objet contondant, je...

le 24 nov. 2014

40 j'aime

6

Eden
BorisCCP
3

Y a-t-il un scénariste dans l'avion ?

J'ai assisté à l'avant-première du fameux. Okay, ce film a été long à faire, a été un investissement et a une dimension familiale puisque finalement Paul c'est un peu le frère de la réalisatrice...

le 14 nov. 2014

35 j'aime

3

Eden
goldie
8

Cold fever

Petit matin de rave en grande couronne parisienne. Paul marche quelques minutes en forêt auprès d’un groupe d’Anglaises – il s’égare volontairement, s’assoit sous un arbre, pour quelques minutes qui...

le 22 oct. 2014

24 j'aime

7

Du même critique

Sur le globe d'argent
Nwazayte
9

L'antre de la folie

Expérience hallucinée, hallucinante et hallucinatoire, Sur le Globe d'Argent est un film monstrueux, une oeuvre titanesque que le tournage chaotique et inachevé éloigne encore un peu plus de...

le 1 mars 2016

37 j'aime

1

Le Miroir
Nwazayte
10

Le Temps retrouvé

On ne dira jamais assez combien la démarche de Andrei Tarkovski quand il réalise le Miroir est proche de celle des écrits de Marcel Proust. Ecrivain français et cinéaste russe ont tous les deux...

le 12 juin 2014

37 j'aime

La Maison des bois
Nwazayte
10

Dans la chaleur du foyer

Il m'est très difficile d'écrire sur la Maison des Bois, même trois semaines après le visionnage. C'est rare mais ça arrive : l'oeuvre vous marque parfois durablement, laisse une trace inaltérable...

le 14 janv. 2015

33 j'aime

2