Sorti sept ans plus tard, El Dorado réécrit Rio Bravo en accentuant la fragilité de ses protagonistes principaux : soit un John Wayne cabossé que l’on fait tomber de cheval encore et encore, qui traîne la patte et souffre d’une paralysie partielle causée par une balle logée près de la colonne vertébrale ; un Robert Mitchum en shérif alcoolique qu’il faut ramener à la raison en lui jetant de l’eau au visage, en lui administrant une potion immonde composée d’épices et de poudre à canon ; un Arthur Hunnicutt en adjoint à ce point nostalgique des guerres contre les Indiens qu’il ne peut s’empêcher de décocher une flèche dans le dos d’un ennemi ; un James Caan enfin, jeune premier au chapeau fort laid qui ne sait pas tirer mais qui imite un Chinois à la perfection !
Voilà donc une équipe plus boiteuse que celle de Rio Bravo, et Howard Hawks la suit dans son quotidien mouvementé : il ménage ainsi quelques séquences d’action fort bien menées, notamment celle de l’église où la fusillade se transforme en concert de cloches, d’autant plus efficaces qu’elles cassent un rythme volontiers lent qui démythifie quelque peu l’imagerie épique et grandiloquence de l’Ouest dans les westerns. Nous percevons d’ailleurs l’influence de la comédie, genre de prédilection du cinéaste, dans l’écriture des dialogues et la direction d’acteurs : les répliques fusent, la répartie s’avère percutante et donne lieu à des échanges mémorables ; un comique de répétition s’installe en parallèle, comme lorsqu’il s’agit d’envoyer encore et encore Mississipi en éclaireur ou de consulter le shérif sur son « plan ».
Howard Hawks n’a pas son pareil pour insuffler, dans un genre qui commence ailleurs à être parodié – Sergio Leone a tourné sa Trilogie du dollar – une âme bon enfant qui exploite le comique sans tomber dans la pochade : il confère ainsi à ses personnages une profondeur et une authenticité qui font chaud au cœur. Notons que la lutte entre les partis oppose les tenants d’une modernité violente et amorale d’une part, les défenseurs d’une tradition que John Wayne, chantre des valeurs conservatrices, rappelle ardument à ce shérif qui ne fait pas honneur à son insigne. Un grand film qui procure un vrai plaisir de spectateur.