Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point de parasiter ce sérieux inhérent au monde de l’adulte par un second degré constant qui non seulement brise l’immersion horrifique, mais surtout ne se justifie jamais à l’écran. Que de jeunes adolescents fassent des blagues, se bousculent, jouent à s’effrayer, pas de souci. Mais que des adultes aussi ancrés dans leur vie active que nous l’expose, en miroir, l’introduction reprennent brutalement leurs habitudes passées – c’est-à-dire un comportement puéril – n’est guère crédible. Qu’est-ce, par conséquent, qu’un adulte qui a peur ? Un être qui se raccorderait automatiquement à ce qu’il était lorsqu’il vivait encore à Derry ? Plutôt simpliste. Il semble que le divertissement hollywoodien ne puisse considérer l’adulte autrement que comme un gosse qui regrette l’état d’émerveillement dans lequel il se trouvait jadis. Mais les romans de Stephen King, eux, ne nous disent pas cela ; ils puisent dans le monde des grands toute la fragilité capable de les jeter au sol avec brutalité, capable de les briser en petits morceaux, capable de les pousser à se suicider dans leur baignoire.


Le deuxième écueil concerne justement la peur. Elle repose ici sur une série de petits clips où la dégueulasserie prend le pas sur l’horreur à proprement parler. Le spectateur pourrait s’amuser à jongler avec ces saynètes, à en bousculer l’ordre ; l’intrigue ne s’en verrait pas modifiée. Andy Muschietti échoue à construire la terreur dans la durée, limite son clown à n’être qu’un pantin qui sort de temps à autre grimacer, loucher et montrer les crocs. Une scène voit une petite fille descendre de la tribune sur laquelle elle regardait un match de Baseball pour rejoindre le démon déguisé en compagnon de souffrance. Très bonne scène. Mais aurait-on pu la déplacer au tout début du long-métrage ? Oui, sans nul doute. Beaucoup de scènes souffrent de cette impression de prétexte à une avalanche d’effets visuels répugnants et trop envahissants. Au contraire, la peur repose sur l’absence et la crainte de la voir comblée. Muschietti assomme son spectateur de coups bas, où la violence tend rapidement à quitter le champ du cauchemar pour rejoindre celui de la complaisance, pure recherche de la fulgurance gore.


Troisième et dernier écueil : le souci de raccorder le clown à une mythologie qui le dépasse. Celle-ci n’a ni le temps de mettre en place, ni l’intelligence de préserver son mystère intrinsèque. Voici venir les chamanes et leur lutte ancestrale, expédiés en quelques minutes par le biais d’une vision hallucinée fort laide et fort opaque. Le repère du clown ressemble à la salle d’Alien, et les deux sagas souffrent des mêmes maux : refuser ce qui ne s’explique pas, se borner à tout éclairer, tout expliquer. Ça : Chapitre 2 se conclut sur le triomphe de la raison face à l’obscurantisme qui longtemps régna. C’est nier la peur comme puissance inconsciente pour qui le responsable – ici le clown – a moins d’importance que le souvenir qu’il laisse. La hantise vit dans la mémoire. Or, la clausule prêche exactement l’inverse : ne te laisse pas faire, sois toi-même et tout ira bien. Non ! C’est dans l’intériorité que se terre le mal.


Ces trois écueils ne doivent néanmoins divulguer les qualités du film, à commencer par ses acteurs dont la ressemblance avec ceux du chapitre précédent s’avère incroyable. Mention spéciale à Jessica Chastain et James McAvoy, tous les deux passionnants à suivre et toujours à fleur de peau dans leur interprétation. Le clown est également très réussi non en raison des prouesses numériques, mais bien grâce au talent de Bill Skarsgård. Andy Muschietti confère au cauchemar une esthétique particulière, à la fois architecturée – la galerie des glaces, par exemple – et crasseuse, visqueuse, rugueuse. Il use à foison des jumpscare, dont certains fonctionnent, et convoque tout un bestiaire de monstres dont nous aurions aimé partager davantage l’intimité ; il y a cette vieille dame qui vit dans l’ancien appartement de Beverly et se métamorphose en géant zombifié. Horrible ! Notons enfin que Benjamin Wallfisch continue dans la même veine que le précédent volet et compose une bande originale où le crépusculaire et le mélancolique se conjuguent avec talent. Pas de quoi bouder cette suite et fin de Ça, donc. Nous regretterons néanmoins qu’un tel potentiel initial n’accouche pas d’une peur plus durable, plus sournoise, plus insidieuse. Car si Ça : Chapitre 2 est la somme des terreurs qui nous habitent, il n’alimentera pas – et quel dommage ! – nos futurs cauchemars.

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le 11 sept. 2019

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