Philippe de Pierpont réussit à donner vie et vraisemblance à son héroïne, jeune femme torturée par un passé qu'elle ne peut oublier. Faute d'oser se confier, elle n'a eu d'autre choix que de briser tout lien familial.

Le film s'ouvre sur l'événement qui lui donnera la force de revenir pour se libérer de ce secret trop pesant, non seulement auprès de sa famille, mais aussi auprès de celui qui est à l'origine de tous ses maux. Si aux yeux des autres, sa haine semble à première vue déplacée en raison des circonstances, c'est la seule façon pour elle de parvenir enfin -à défaut d'oublier- à vivre avec.

Tout au long du film, nous sommes témoins de l'évolution de ce personnage complexe qu'est Laura. Les liens qu'elle renoue progressivement avec son frère et ses enfants, mais aussi dans ses rapports aux hommes, faussés par ses expériences antérieures.

Le sentiment de culpabilité est remarquablement illustré. Chez cette mère qui ne peut rien entendre tant c'est pour elle inconcevable d'imaginer son mari capable d'un tel acte, et tant est grande la difficulté d'admettre qu'elle n'a rien vu. Chez ce frère qui aurait tant souhaité qu'elle se confie, et qui ne se pardonne pas de ne pas avoir été là pour elle. Et chez Laura, culpabilité ancrée en elle depuis l'enfance et toujours bien présente.

Au centre du film, ce face à face silencieux où les rapports de force se trouvent inversés : c'est maintenant la fille qui parle et décide (elle lui défend même de mourir) alors que le père ne peut que se taire et écouter -à supposer qu'il entende. Ce n'est qu'une fois qu'elle aura tout déversé, qu'elle se sentira libre, qu'elle lui donnera la permission de faire comme il l'entend : "Maintenant tu as le choix papa, tu peux mourir ou te réveiller ça m’est égal".

Voilà la froide vengeance de Laura, pouvoir enfin déverser devant lui tout ce qu'elle a tant besoin de dire.
La scène où elle lui 'présente' son nouvel amoureux en est bien l'exemple : si Jérôme ne comprend pas l'intérêt de ses paroles, c'est avec un immense plaisir qu'elle déclarera à son père qu'elle a donné à cet homme-là ce que lui n'a jamais pu avoir, son consentement.

La grande force du film est de ne rien montrer, de ne rien dire. Alors que se tourner du côté des flashbacks serait si simple, ici tout est plutôt sous-entendu, effleuré. Ça n'en est que plus fort et la blessure qui marque profondément l'héroïne n'en est que plus visible. Dans ses longs monologues, jamais de clairs reproches, les quelques souvenirs nous sont égrainés avec un regard presque neutre, mettant ainsi le père face à ses responsabilités.

Tant au niveau du jeu d'acteurs (hormis peut-être chez la mère qui n'est pas totalement convaincante) qu'au niveau de la mise en scène, le film fait preuve d'une très grande sobriété. Pas de grandes effusions ou très peu, des dialogues rares et percutants, un scénario simple sans prétention, et une fin habile qui sans en dire trop laisse un peu présager la suite des événements.

Un premier long métrage intéressant qui, sans avoir trop d'ambitions, fait honneur aux objectifs qu'il s'est fixé. "Elle ne pleure pas, elle chante" évite de belle façon les pièges habituels, même si le tout pourrait gagner en intensité et en émotion. Prometteur.

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le 29 janv. 2013

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le 29 janv. 2013

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emmanazoe

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