Avec la sortie de son premier métrage en 2009, l’inégal bien que fascinant District 9, l’avenir de Neill Blomkamp semblait déjà bien tracé, avec ses certitudes, celles d’un futur grand nom de la SF sociale, mais aussi avec ses contingences comme celles de savoir si le cinéaste sud-africain serait capable de répliquer un nouveau grand coup dans un genre si codifié et paradoxalement si instable, tout en se renouvelant.

Il faut peu de temps pour comprendre, qu’avec Elysium, le petit prodige gardera les mêmes thèmes, quasiment la même ossature psychologique et ce combat entre privilégiés et opprimés dont son précédent film faisait déjà la chronique. Et pourtant, s’il y a bien un point sur lequel le film ne déçoit pas, c’est son rythme et la fluidité avec laquelle il parvient à créer un sous-texte dans son récit. La régularité du tout est insolente, comme traversé par une force qui permet au cinéaste de traverser chacun de ses thèmes sans en mettre un plus en valeur qu’un autre. Le tout reste constamment homogène et pourtant jamais lisse, puissant dans son rapport entre le temps et l’espace. Visuellement ahurissant, Elysium impressionne très souvent dans sa manière avec laquelle Blomkamp et son chef opérateur Trent Opaloch mettent en image les combats en diversifiant les décors sans jamais en perdre la symbolique ou même la sensation.

Qu’ils soient filmés dans l’espace et la séquence d’intrusion clandestine dans Elysium, intense à souhait, ou les divers combats entre le héros, Max, interprété par un impérial Matt Damon et les robots, Elysium est un film qui, à l’inverse de District 9, prend de l’espace pour prouver sa grandeur et afficher ses ambitions. Outre cette question spatiale qui, dans son précédent effort, montrait sous forme d’un huis clos, une présence extraterrestre pénétrer un habitat simple sans jamais en sortir, Blomkamp fait jongler ses personnages entre Elysium et la Terre pour ainsi créer un contraste évident entre l’Homme et la création de l’Homme. La vie est un combat de tout instant et qui plus est quand cette Terre est devenue si anxiogène. Face à cela, se dresse une quête humaine, insatiable, de pénétrer la Cité, où les riches et les puissants sont venus résider, pour éradiquer maladies et malheurs et aussi briser les barrières entre les classes. Sans tares ni menaces planantes au-dessus de la tête de ce royaume, Elysium est à l’image de l’homme de l’époque et de ses créations, dénué d’âme et dont l’imposante architecture ne peut masquer les oppositions intrinsèques des puissants et le retournement politique qui se prépare.

Filmant la déliquescence fragmentée de cet empire, Neill Blomkamp n’est d’ailleurs jamais très loin du piège qui le ferait confondre un archétype à une simple caricature. Après vingt premières minutes où le réalisateur dresse diverses situations, basculant entre passé et présent à plusieurs reprises, Elysium vogue très souvent vers les rives de l’écriture misérabiliste qui ferait montre d’un personnage détruit par une administration qui n’accepte pas le pardon pour son passé. La rédemption est aussi l’un des éléments prédominants dans la quête du héros et, de ce fait, Elysium est un film foudroyant, d’une puissance véritable. Entre les superstitions et la réalité peinte à l’écran, le film de Blomkamp semble attacher le même rapport avec un Prometheus sur la religion, sur ce que l’Homme a fait de la Terre et de son désir de conquérir l’espace sans en comprendre les enjeux et les pièges. De ce fait, Elysium est aussi un film dont l’abondance des sujets et des péripéties fait découler une pluralité des caractères qui se manifeste à travers les personnages. Car, en plus d’être un formidable metteur en scène qui a su balayer les défauts de son récit pour apporter en nervosité à ce dernier, sa direction d’acteurs est tout aussi exceptionnelle, emmenée par un Matt Damon bestial et émouvant et une Jodie Foster impressionnante d’autorité mais c’est bel et bien Sharlto Copley, campant cette fois-ci le rôle du bad guy, qui impressionne, terrifie l’auditoire au son de sa voix et au fil de ses moues. Paradoxe d’un cinéma basé sur un ennemi plus intime avec le héros, son personnage s’efface de la destinée du héros pour se laisser empreindre d’une folie des plus infernales, jusqu’au final où Blomkamp laisse la place à l’entière responsabilité de la matière graphique, ne laissant que le sang déversé comme seule échappatoire à une crise mondiale, ouverte telle une blessure inguérissable. Elysium a des accents révolutionnaires, s’inscrivant dans une vaine cameronienne, et une ambition telle que le plaisir qui se déverse du métrage est sans précédent, brossant la majorité des blockbusters sortis cette été de son intelligence et son autorité.

Il y a certes moins de finesse dans l’analyse, peut-être même une assurance qui le fait oublier le ton caustique de son précédent effort mais la maîtrise avec laquelle il s’approprie chacun de ses décors, chacun de ses protagonistes force le respect.

Elysium est un film à trois têtes, à trois temps. Brûlant, massif et rugueux, entre chronique d’un ersatz de démocratie grecque décadent et film politique d’aujourd’hui et demain exposant la domination de la technologie pour asservir l’Homme et son propre arbitre, Elysium impressionne et confirme que le metteur en scène sud-africain peut définitivement s’installer auprès des plus grands noms de la science-fiction. Manipulant son univers avec une intelligence rare, Neill Blomkamp dépeint un monde en pleine implosion, dont le désespoir emmène ses habitants à se surpasser, à se sacrifier. Que cela soit en termes de structuration du récit (le sud-africain a appris à mêler un discours politique à la matière fictive avec plus d’intelligence) ou d’ambitions, Elysium marquera et ce pour très longtemps. Un nouveau pas franchi depuis District 9 qui montre, qu’en 2013, des auteurs ont encore quelque chose à raconter à Hollywood. Lui manque simplement une bande-originale aux intentions semblables à celles de son réalisateur et qui ne copie pas simplement les thèmes pompiers d’un Hans Zimmer élevé en tant que modèle musical d’un cinéma sans émotions.
Adam_O_Sanchez
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le 17 août 2013

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Adam Sanchez

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