En Guerre s’inscrit dans la même veine sociale et engagée que La loi du marché, la dernière collaboration entre Stéphane Brizé et Vincent Lindon. Mais alors que l’acteur incarnait un homme qui subissait passivement le déclassement social dans leur précédent film, son personnage mène cette fois-ci haut et fort la lutte syndicale contre la fermeture de son usine.
L’immersion est impressionnante, brutale, saisissante. La limite entre la fiction et le documentaire est ténue, tant les acteurs (professionnels ou non) rendent chaque situation plus réaliste.
Les manifestations, les occupations d’usine, les délogements par les CRS, les vives discussions entre groupes syndicaux ou les confrontations face aux représentants patronaux, tout est d’une confondante et parfois perturbante justesse.
En plaçant sa caméra au cœur du conflit, Brizé en fait un personnage muet qui assisterait sans un mot, mais sonné, à ces semaines de combat. Portant un regard acéré sur la casse sociale liée à la désindustrialisation, il livre un cinéma vérité incisif et pointe du doigts les excès d’un capitalisme écœurant de cynisme.
On peut cependant apporter un bémol et souligner que le réalisateur pousse un peu loin l’inhumanité totale des patrons de l’usine. En Guerre étant une fiction, le scénario peut à sa guise charger la barque pour faire des dirigeants les plus grands des salauds, sans aucun sens moral ni sensibilité. C’est certainement le cas de beaucoup de tycoon de multinationales, mais ici les représentants de la firme sont tous identiquement des enflures, aucun ne fait jamais preuve ne serait-ce que d’une once de compassion.
Cela dit, En Guerre reste une fiction. Cette forte caractérisation de la partie adverse renforce le poids dramatique du combat des ouvriers pour sauver leurs emplois, lui offrant un antagonisme fort et incarné (oui, on a vraiment envie de baffer le board de Perrin Industrie). Mai au final, c’est lorsque que les deux courants syndicaux s’opposent sur la méthode à employer que le film creuse vraiment les problématiques humaines et sociales, au cœur desquelles émerge la notion de l’individu face au groupe.
En Guerre y affirme son statut de docu-fiction admirablement bien bâti, s’appuyant sur une mise en scène heurtée et bruyante, parfois éreintante, à peine adoucie par quelques respirations dans la vie privée du principal protagoniste.
Brizé crée ainsi tout au long du film les conditions d’un final choc et choquant qui laisse son spectateur groggy. Un film en colère.

Créée

le 23 mai 2018

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