Trois ans après "La loi du marché" qui lui avait valu un prix d'interprétation à Cannes et un César du meilleur acteur, Vincent Lindon retrouve le réalisateur Stéphane Brizé pour une nouvelle histoire de crise sociale désespérée.
Après que leurs patrons aient décidé de fermer leur usine pour manque de compétitivité et ce malgré les bénéfices réalisés par le groupe l’année passée, Laurent Amédéo (Vincent Lindon), l'un des travailleurs de l'usine, va se faire le porte-parole syndicaliste de ses collègues en se lançant dans une lutte acharnée contre ses propres patrons dans le but de récupérer leur emploi.
Tel est donc le sujet, tristement contemporain, de "En guerre".
Dès l'ouverture du film, le ton est donné. On assiste à des images d'actualité empruntés au journal de 20h, montrant des grévistes très en colère, décidé coûte que coûte à se faire entendre, avec en alternance des images vues et revue de patrons "je m'en foutiste" et "plus langue de bois, tu meurs".
En choisissant, en début de film, d'opter pour un montage alternant images d'actualité et séquences purement narratives ayant pour particularité de montrer toutes deux les mêmes travailleurs révoltés, Stéphane Brizé donne à voir au spectateur un réalisme éprouvant et tendu, situant son film aux confins du thriller. Ceci dit, l'objectif n'est pas uniquement de montrer mais aussi de dénoncer une situation sociale injuste et terriblement éprouvante, allant même jusqu'à réveiller une certaine violence physique de la part des "incompris".
Et la bonne idée du réalisateur est justement que, plutôt que d'opter pour un manichéisme facile (les gentils syndicalistes d'un côté, les méchants patrons de l'autre), il préfère se focaliser sur les rapports humains avant tout. Qu'il les filme occupé à manifester tous ensemble dans l'attente d'une hypothétique réponse de la part de leurs chefs, ou en réunion avec les dits patrons ou encore en train de se désolidariser suite aux mesures injustes prises par les hautes instances du pouvoir, Stéphane Brizé, en s'intéressant au comportement humain sur fond de situation sociale tristement récurrente, fait de son film un brûlot politico-humaniste qui, tel un cri de guerre, frappe juste et fort là où il faut. Et là où "En guerre" réussit son coup, c'est dans sa volonté de ne jamais sombrer dans un misérabilisme fataliste façon frères Dardenne ou Ken Loach. Avant d'être les petits rouages d'un système social biaisé dans lequel les plus "faibles" sont toujours les dindons de la farce, les grévistes du film sont avant des hommes et des femmes comme tout le monde, mû par un seul et même désir : continuer à rester actif dans une société de plus en plus déshumanisé dans lequel la loi de l'argent l'emporte sur tout le reste.
Hormis Vincent Lindon, par ailleurs impeccable de naturel et très habité par son rôle de porte-parole des grévistes, sorte de "Spartacus" des temps moderne, les autres comédiens sont tous des non professionnels. Les ouvriers et patrons que l'on voit à l'écran le sont véritablement dans la vraie vie, ce qui confère au film d'avantage de crédibilité et de réalisme sociale, bien qu'il s'agisse avant tout d'une oeuvre de pure fiction mettant en scène une grève imaginaire mais terriblement proche de ce que nous avons pu observer dans l'actualité de ces cinq dernières années en Europe.
De fait, les prestations "naturellement naturelles" des autres "comédiens" sonnent donc elles aussi très contemporaines.
En optant pour un montage privilégiant le suspense et la noirceur en ce qu'il monte crescendo dans la tension et la fureur (également symbolisé par les longs fondus au noir qui entrecoupent le film), en choisissant de juxtaposer la fiction la plus engagée (et enragée) au réalisme documentaire le plus alarmant (représenté par les images de journaux télévisé et par les comédiens non professionnels), Stéphane Brizé signe, avec "En guerre", un grand film social dressant le triste et cynique constat d'une société humaine en pleine décrépitude mais bien décidé malgré tout à se relever et à tout faire pour continuer à vivre et à exister, quitte même à passer par la rage et la colère la plus noire.
Si la fin du film peut sembler un rien poussive, elle peut aussi se voir comme le facteur révélateur d'une situation tellement alarmante qu'elle peut conduire à l'irréparable.
Visuellement habité et enragé, emmené par un Vincent Lindon charismatique et impressionnant qui, visiblement après "La loi du marché" du même Stéphane Brizé semble se faire le porte parole d'un certain cinéma social, "En guerre" vient rappeler au passage que le septième art n'est pas qu'un simple média de divertissement, mais aussi et surtout un élément destiné à faire réfléchir et qui n'est rien moins que le miroir déformant et révélateur de notre propre société.