Le souffle qu’a jeté « En quatrième vitesse » lors de sa sortie en 1955, est semblable à celui projeté par la voiture de Hammer (lors de la scène du début) lancée en quatrième vitesse : c’est celui d’une liberté folle, d’une énergie créatrice posant les fondements modernes du film noir. Il est d’ailleurs peu étonnant que les cinéastes de la Nouvelle Vague aient porté leur admiration sur ce polar désenchanté où le balayement des clichés et poncifs de l’époque est terrassant.

Ce qui frappe tout d’abord, c’est cette première scène intrigante : une jeune femme, Christina, court essoufflée sur la route. Il fait nuit et elle semble apeurée. Cette oppression de la nuit et ce qui entoure le secret de cette peur sont rendus ici par un montage saccadé au rythme de la respiration de la femme, qui lui donne cette impression de courir contre le monde, de faire du surplace. Cette femme rencontre le héros, Mike Hammer, et, victimes d’un guet-apens qu’on suppose lié à la fuite de Christina, cette dernière meurt. Cette scène introductive est remplie de suspense et permet l’atomisation du personnage, du cliché et de ce qui est connu, à l’image du genre du polar américain, embourbé déjà à l’époque dans des films ronflants et des poncifs lourdauds.

Le film se jouera en permanence de ce prologue ahurissant en convoquant vamps, meurtres, rebondissements, bagarres, personnages aux visages de publicité,… Ces allures de série B, de film de commande permettent à Aldrich d’expérimenter au maximum sur la forme. C’est équivoque au niveau du montage qui ne garde que le frisson et le sens de l’action. Les scènes de bagarre par exemple sont réduites au minimum pour ne filmer que les corps s’affrontant au sein du cadre et rien qu’au niveau du cadre. Une autre scène d’un baiser entre Mike Hammer et Velda, sa secrétaire et amante, en travelling avant permet de capter une sensualité torride et induit le regard du spectateur sur ce qui se passe à l’écran : le fantasme du film d’action est aussi celui de la passion amoureuse. Jean-Luc Godard disait bien que pour faire un film, il suffit juste d’une fille et d’un revolver !

Une des autres forces du film est de garder un hors-champ omniprésent. En 1955, l’Amérique est en pleine guerre froide contre l’URSS dont la menace de l’arme automatique pèse dangereusement. La culture américaine va alors se nourrir de cette peur et « En quatrième vitesse » n’y fait pas exception. Ainsi, il concentre l’intrigue du film autour d’un Mac-Guffin parfait : celui qui n’est qu’évoqué qu’à la fin du film et dont le contenu ne sera jamais dévoilé. Son utilisation est malicieuse car il est à la fois absent (et donc par définition peu important) et à la fois constitue un symbole et une allégorie de l’arme nucléaire. Il est représenté par une valise dont l’ouverture provoque une vive lumière et une source de chaleur. C’est le Mac-Guffin qui fait exploser la maison sur la plage emportant les meurtriers tandis que Velda et Hammer, harassés par cette action et ce mouvement sans fin, contemplent cette désagrégation. A noter que la maison brûle mais que la lumière continue de briller de façon éclatante : le danger n’est pas écarté et les héros (et in fine les spectateurs) sont toujours inquiétés. C’est là où le film est terrifiant puisque la puissance déversée à Hiroshima est de l’ordre du connu, alors que cette mystérieuse valise, semble par un déplacement de la pensée, encore plus puissante et encore plus meurtrière.

« En quatrième vitesse » a posé des jalons par la capacité qu’Aldrich aura eue, et ce dès le début de sa carrière, à mêler sécheresse et poésie, épouvante et action dans un tourbillon de formes, poussant son film jusqu’à l’abstraction. C’est-à-ce titre qu’il est devenu une référence, devenant un puits où chaque film suivant a pioché tel ou tel élément. Cette liberté filmique pourrait au final être symbolisée par l’affiche où les héros sont enlacés : passion amoureuse, passion du cinéma et passion de la vie.
Tanguydbd
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le 14 avr. 2014

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