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Cette critique contient des révélations quant à l'intrigue.

Il faut le rappeler et le marteler : non, les films américains de Fritz Lang n’ont rien à envier à sa période allemande. Souvent taxés de films de série B, mal-aimés de Lang lui-même, ils sont pourtant des œuvres immenses, dotés d’une mise en scène percutante qui exerce encore aujourd’hui une très grande influence. Ce désaveu provient surtout de la très grande différence esthétique entre les deux périodes et l’amoindrissement de la liberté artistique du réalisateur allemand au fil de sa carrière.

L’invraisemblable vérité est le dernier film de sa période américaine et constitue une matrice particulière avec son prédécesseur « La 5ème victime ». Sorti en 1956, il est le symbole et la synthèse de ce que Lang a pu à la fois subir et exercer dans le cinéma hollywoodien. En effet, le tournage des Contrebandiers de Moonfleet sorti en 1955 fut très éprouvant pour Lang, exposé au remaniement de son montage. Il renia le film et tourna successivement « la 5ème victime » et « l’invraisemblable vérité », qui frappent par leur esthétique déshumanisée et leur ton très noir et très pessimiste.

L’intrigue de « L’invraisemblable vérité » part d’un postulat très simple mais fort à la fois : deux journalistes, Austin Spencer et son gendre, Tom Garrett, adversaires acharnés de la peine de mort, construisent des faux indices pour faire accuser ce dernier d’un crime qu’il n’a pas commis, dans l’optique de le faire condamner à mort. Ce stratagème trouve sa résolution dans l’apport des preuves de l’innocence de Garrett, montrant par la même occasion l’absurdité de la peine capitale qui s’applique dans de malheureux cas à des innocents. Mais Spencer se tue dans un accident de voiture le jour du verdict.

La force du scénario tient à sa grande linéarité et à son suspense. Il est parfois préjudiciable au film qui tombe à certains moments dans l’écueil du scénario filmé, étouffant la mise en scène de Fritz Lang. Celle-ci se déploie par son minimalisme et forme un réceptacle à l’histoire en cours, ce qui contribue parfois à son effacement au profit du scénario. On a pu parler de sécheresse quant aux films américains de Lang. Cela s’explique par la rupture entre les deux périodes : là où Metropolis brillait par ses effets expressionnistes, l’invraisemblable vérité frappe par sa rigueur et la formation de son cadre. Le détail n’est plus, le décor réduit à son essence cinématographique première : accueillir l’homme qui y vit tel qu’il est. Lang est désabusé, fatigué en 1956. Si Furie, son premier film américain était le manifeste contre le lynchage et la justice personnelle, l’invraisemblable vérité sous couvert du plaidoyer anti-peine de mort, éclate la vérité, la met à nue : la bonté humaine n’existe plus. Jamais un titre de film n’aura été aussi bien traduit : dans le twist-ending final, la vérité devient invraisemblable ; c’est celle du meurtrier qui milite contre la peine de mort, pour un simple calcul, celui de croire à sa toute puissance, à la force de son esprit face au reste du monde soumis au spectacle médiatique d’une histoire à rebondissements (le film est à ce titre dans la continuité de « la 5ème victime »). A noter que la fin peut être mise en parallèle avec celle de « La femme au portrait » où Lang avait choisi le rêve comme moyen au héros de s’échapper à sa situation. Ce n’est plus possible ici, ce qui montre la dégradation de la vision de l’être humain chez Lang au cours des années.
Il faut voir le film pour le combat acharné que mènent ces enveloppes sans âmes.

Il faut le voir aussi pour son incroyable suspense. Il faut tout simplement le voir si on aime le cinéma : celui du mouvement, celui où il se passe quelque chose. C’est peut-être là le plus important et ce qui assure à Lang une place de choix dans l’histoire du cinéma.
Tanguydbd
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le 11 avr. 2014

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